Pain of Salvation… Il fallait bien que je me risque un jour à écrire une critique sur le groupe musical que j’ai le plus écouté, et sans aucun doute mon préféré tous genres confondus.

Groupe suédois inclassable, à la confluence du rock progressif et métal progressif, Pain of Salvation développe depuis bientôt 30 ans des albums-concepts riches, poétiques, spirituels, exigeants, toujours innovants, alternant entre des mélodies accrocheuses, des riffs nerveux, des morceaux rock vintage, et des compositions alternatives voire expérimentales.


In The Passing Light of Day, sorti en 2017 six ans après le précédent album, est étrangement celui qui m’a, avec Be, le plus marqué. Son thème paraît pourtant au premier abord plus conjoncturel et personnel que les autres, qui abordaient des thématiques plus hautes, plus philosophiques, plus spirituelles. Ici Daniel Gildenlöw, le génial fondateur et incarnation du groupe, raconte la terrible expérience qu’il vécut en 2014 lorsqu’il fut soudainement atteint d’une fasciite nécrosante, maladie infectieuse terriblement douloureuse qui aurait pu l’emporter en quelques heures et l’a conduit à être immobilisé 4 mois à l’hôpital, celui-là même où, ironie du destin, il est né.


Au travers du récit de cette épreuve sont abordées les questions fondamentales de la vie, la mort et la souffrance, qui font tout l'intérêt de l'album. Dès les premières notes le ton est donné : le rythme brutal, viscéral de "On a Tuesday" retranscrit de façon quasi organique l'insupportable souffrance physique que Gildenlöw endure, faisant face à la mort, sans placebo : malgré ses défaillances, hors de question de s’en remettre à un dieu imaginaire pour l'aider à encaisser la souffrance et nier le trépas qui vient. Puis vient l'accalmie, déjà le supplicié se sent partir, lâcher, puis repart en hurlements de révolte, jusqu’au sublime climax au dernier tiers du morceau introduisant le thème de l’album, cette lumière du jour qui tombe, au crépuscule de la vie.

Ces alternances répétées de sentiments contradictoires parsèment tout l'album comme une succession d'ombres et de lumières : des moments de révolte face à la mort qui vient, incarnés dans des morceaux nerveux (« Tongue of God », « Taming of a Beast »), de souffrance physique (« Full Bottle Tribe ») ou psychique (« Meaningless ») insurmontables, de défaillance et résignation (« If this is the end », « Angel of Broken Things » et le souhait de Gildenlöw d’entrer dans « une nuit sans rêve »). Tant d'épreuves au cœur desquelles paradoxalement, les ténèbres qui entourent le chanteur révèlent d'autant la lueur qui les parcoure : la présence de ses proches, son épouse (« Silent Gold »), sa famille et son groupe. Tout cet amour qui l'enveloppe est psalmodié dans des passages mélancoliques bouleversants, plus apaisés, qui viennent couronner le torrent d'émotions qui submerge le chanteur, et l'auditeur avec lui.


Mais si Daniel Gildenlöw refuse obstinément de s’en remettre à Dieu – tout en s’y adressant parfois - pour affronter la mort de face, In the Passing Light of Day est malgré les apparences un album éminemment spirituel, et c’est à ce titre qu’il m’émeut tant. L’auteur, dans son expérience profane, relève à merveille ce troublant paradoxe dont nous faisons tous l’expérience lorsque nous perdons un être cher : reste-t-il après la mort, ce néant vers lequel nous nous dirigeons tous, quelque chose qui subsiste et serait alors de l’ordre du transcendant ? Oui, l’amour évidemment. C’est par cette conclusion que se dénoue l’album, dans le magnifique dernier morceau éponyme, « The Passing Light of Day », véritable cantique où Daniel Gildenlöw chante la mémoire de son histoire d’amour avec son « amante et meilleure amie » – « my lover my best friend »… loin des clichés des vies dissolues des métalleux, notre chanteur est marié depuis 25 ans et père de famille - ; et c’est par l’expérience de l’approche de la mort qu’il peut affirmer que la vie n’est pas vaine. La lumière qui s’éteint – et elle s’éteindra un jour pour chacun d’entre nous -, révèle une flamme plus grande encore ; « like the sun, That steady flame that burns on and on »...

On pourrait y entendre que cet amour est une immanence, que le lien avec Dieu n'est pas nécessaire. Pourtant, et c'est une ambivalence très courante dans l'univers du metal, Daniel Gildenlöw refuse de s'adresser à Dieu, mais il a quand même besoin de Lui dire. Comme Job dans l'Ancien Testament, son cri, quand bien même il manifeste un refus, est bien adressé, et entre dès lors en relation avec un Autre. Et cette révolte, à la manière de certains Psaumes, est sans doute bien plus vraie et authentique que bon nombre de pharisaïsmes.

Comme l'écrivait la philosophe Simone Weil sur notre rapport à la grâce divine :

« La grâce comble, mais elle est excessivement difficile à recevoir. On ne peut pas la recevoir sans perdre tout ce que l'on appelle son âme, son moi, sa personnalité, mais ce n'est rien à côté de ce qu'on reçoit. Il est incroyablement difficile de consentir à être aimé de Dieu, à cause de notre misère, de notre vide, de notre abjection. »

Je parle ici surtout du fond de l'album, qui bien sûr ne serait rien s'il n'était pas servi par une composition et une écriture si maitrisées, si audacieuses, si sensibles, bref, si géniales. Partir de ce thème si singulier, oser s'aventurer dans des champs si expérimentaux, pour accéder à de si belles vérités et savoir les partager à l'auditeur, est pour moi une prouesse, et Passing Light of Day, sans conteste, un chef d'œuvre.

Wlade
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le 26 sept. 2024

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