« That night, I watched people fucking on my computer. »
« That night, I watched people fucking on my computer. », ce sont les premiers mots murmurés par Jenny Hval en ouverture de Innocence is Kinky. Une façon d'accrocher, d'impressionner, d'intriguer et de choquer l'auditeur dans le même mouvement. Le mélange entre soupirs et cris qui caractérise le chant semi improvisé de la norvégienne et son affection pour les thèmes et les images crus rappellent d'autres interprètes féminines, de PJ Harvey à Fiona Apple en passant par Liz Phair. Plus proche de la veine expérimentale que de la pop, Jenny Hval n'hésite jamais à provoquer le trouble et à surprendre. Cependant, ses chansons restent relativement facile d'accès, que ce soit grâce à leurs durées raisonnables ou à leurs structures finalement assez classiques. C'est le charisme de la chanteuse qui fait, comme souvent, toute la différence.
A presque 33 ans et pour son quatrième album, Jenny Hval dévoile une inventivité frappante et teste toutes les limites de sa voix. Qu'elle parle (Oslo Oedipus), chuchote (Renée Falconetti of Orleans, en référence au chef-d’œuvre de Dreyer), surgisse au milieu des larsens (Give me that sound), déclame (I Got No Strings) ou qu'elle chante aussi simplement que possible (ce qui n'est jamais vraiment le cas), l'auteur déploie une personnalité unique. Sensuelle et cérébrale, cette musique prend d'assaut dès la première écoute mais ne se révèle que lentement, très subtilement, nuance après nuance, dissonance après dissonance. A l'image de celles de The Knife, ces compositions pourront rebuter une partie du public, surtout si on n'est pas du genre à s'investir un minimum auprès de ce qu'on écoute, que ce soit de manière intellectuelle et surtout de manière sensorielle.
Il serait cependant dommage de passer à côté d'Innocence is Kinky en le rangeant dans la catégorie : bruit bizarre créant le malaise. Avec ses oripeaux rock, l'album s'avère bien plus facile d'approche qu'on ne pourrait le craindre. Certes, vous n'êtes pas près d'entendre Jenny Hval dans les robinets sonores habituels (télé, radio, internet), mais qui, en 2013, écoute encore ces choses, si ce n'est quelques adolescents sans autre repère que le conformisme social ? De conformisme il est souvent question chez Jenny Hval, mais toujours pour s'y opposer, s'en démarquer. Exactement comme dans Shaking the Habitual, où la liberté artistique fait écho à des libertés plus vastes, en particulier en ce qui concerne ce que l'individu a le droit de faire et de penser. D’utilité publique, donc.