Is He Real?
6.9
Is He Real?

Album de IDK (2019)

Agnosticisme, daltonisme et hip hop

Penchons-nous en premier lieu sur le dialogue qui sert de clôture à cet album :








-Alright, ay, so listen, what color are my pants?



-Red!



-Alright so, describe to me the color red without using another color, or anything associated with the color.



-I think the color red is something that provokes emotion out of people.



-Nah, I'm saying how can you visually…



-Visually describe it ?



-Describe the color red without using another color. It's impossible, there's no way you can do that.



-No.



-So look, how do you know that when you see red, right ? I don't see blue ? How do you know we see the same color ? There's no way to tell.
There's no way you can tell, like if, if we can see the same color no matter what because I could've grown up my whole life thinking that red was really. I see blue but I thought it was red 'cause that's what they taught me.



-Right.



-And there's no way to describe it to you. So to know if we see the same thing, so, if we know, if we can't even say that we see the same
thing, right? If me and you can like literally talk about colors and
we're not advanced enough, um, like, society, humanity, whatever you
wanna call it, or technology… To say that, to know if we actually even
see the same colors, then how can we say there is no God ?






Ces interrogations ne datent pas d’hier. Depuis la fameuse affaire de la © robe bleue marine ou blanche et dorée © (probablement le débat plus passionnant qu’on ait eu en France depuis l’affaire Dreyfus), le monde entier sait que l’expérience de la couleur est subjective. Bien qu’étant rattachées à une fraction bien définie du spectre électromagnétique, chacune des couleurs que nous discernons résulte en fait d’une interprétation de notre cerveau.


Pourrait-on aller jusqu’à affirmer pour autant que mon vert pourrait être ton bleu, que le rouge de Staline pourrait être le jaune de Pol Pot, ou encore que le noir de Marine Le Pen pourrait être le blanc de Lillian Thuram ? L’idée est amusante (MLP en noir, ça aurait de la gueule), mais peu probable. Des études ont par ailleurs montré que notre ressenti aux couleurs était le même d’un individu à l’autre, sans que l’aspect culturel puisse entrer en compte. Le rouge restera « chaud », et le bleu « froid », par exemple, ce qui réduit la probabilité d’inversion des couleurs. Toutefois, impossible de conclure, l’expérience de chacun étant inaccessible à autrui.


Un raisonnement similaire pourrait être appliqué pour l’existence de Dieu. De plus en plus contestée et remise en question, le débat n’aura de cesse de faire rage, faute d’éléments tangibles corroborant une thèse ou l’autre. Tant que Christine Boutin respirera, Dieu perdurera. Ou l’inverse, je ne sais plus.


Pour son premier album, IDK se lance corps et âme dans cette épineuse question religieuse et spirituelle. Tout en gardant le côté sale gosse hyperactif qui a contribué à son succès. Découvert par hasard en première partie de Denzel Curry au Trabendo l’année dernière, le jeune rappeur du Maryland m’avait laissé un bon souvenir : énergie contagieuse, déconneur efficace, trois lettres faciles à mémoriser en guise de nom de scène (JUL n’a qu’à bien se tenir) ... Un artiste à garder sous le coude en attente d’un premier projet « sérieux ».


Et il y a de quoi se réjouir, car dans l’ensemble, Is He Real ? est une belle réussite pour un premier tour de chauffe. Centrés sur le thème de la religion, les morceaux aux influences trap, soul et gospel (obligatoire au vu du sujet abordé) s’enchaînent agréablement, grâce notamment à des interludes bien pensées et des guests de grande qualité. Et parfois même les deux, comme sur I Do me… You do You, où nul autre que Tyler, The Creator se joint à IDK le temps d’exposer son opinion sur la supposée existence d’un être supérieur. La voix du mc californien, qui semble avoir été manipulée pour la rendre encore plus caricaturale, est à la fois suave, profonde, et captivante… Tyler pourrait lire les écrits de jeunesse de Yann Moix à l’envers que j’y trouverais quand même mon compte.


On retrouve également King Push et JID, en grande forme sur le délirant Porno. Car malgré l’apparente austérité du thème religieux, IDK se plaît à marquer cet album de sa personnalité extravagante et de son infantilisme revendiqué. A la fin de l’interlude de Tyler, the Creator, le mec vient quand même nous parler au calme d’homme des cavernes et de robots sexuels. Cette personnalisation se retrouve également à la production, assurée en grande partie par le rappeur du Maryland. De ce côté-là, on retrouve de nombreuses influences actuelles, une des plus évidentes étant peut-être…. Tyler, The Creator, encore lui ! Il n’y a qu’à écouter les claviers et les violons sur European Skies, No Cable ou Alone pour se retrouver à nouveau plongé dans l’ambiance délicieusement puérile du Tyler époque Flower Boy. Des bangers trap plus classiques comme 24 ou 42 Hundred Choices se mêlent à la tracklist, assurant à IDK une écoute grand public.


Pêchu, facile d’accès et sans réel temps faible, le plus grand défaut de Is He Real ? provient de son manque d’identité propre. Ramassant çà et là diverses influences dans ses productions comme dans sa manière de rapper, le premier projet du jeune IDK semble suspendu à ses inspirations. Son flow est agréable, mais n’a rien de vraiment marquant. On jurerait entendre Kanye sur certains couplets de 24, Chance sur European Skies, sans compter les influences de Tyler, the Creator déjà évoquées. Les paroles ne sont pas le point fort de cet album non plus, et on a le droit à plusieurs passages assez cliché et fleur bleues sur No Cable ou Alone.


Parmi l’arrivage toujours plus massif de nouveaux rappeurs sur l’exigeante scène américaine, IDK parvient tout de même à tirer son épingle du jeu avec un premier album convaincant et solide, parfois brouillon mais généreux. Un projet fun qui s’écoute en toutes circonstances, que ce soit en soirée, au taff, ou même pour parler religion avec Christine Boutin et Tyler, the Creator.



  • En quelques mots : Un cours de catéchisme avec Christine Boutin et Tyler, the Creator

  • Coups de cœur : 24, I do me… You do you, Digital

  • Coups de mou : No Cable

  • Coups de pute : RAS

  • Note finale : 7

JLTBB
7
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le 13 sept. 2019

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