Is This Desire ou A – 2 avant le bug de l’an 2000. Avant que le rock alternatif ne perde sa raison d’être pour devenir ce contre quoi il s’est toujours battu : du rock rétro mou et de la variété internationale. Le même genre de phénomène qui s’est produit avec les mastodontes des 70s lors de leur passage dans les années 1980.
Mais en 1998, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. La France a gagné la coupe du monde de football, le rock indépendant et l’électro n’en finissent pas de sortir encore des albums géniaux de leur besace (même si la fin est toute proche) et malgré le fait que la britpop commence à se passer de mode, on a droit au trip hop en contrepartie.
PJ Harvey s’intéresse justement à cette musique atmosphérique rythmée par des beats et inspirée des techniques de production du hip hop. Elle trouve dans cette démarche un nouveau moyen d’expression pour y poser dessus ses sentiments et surtout sa rage. Car ce qui différencie sa production studio des 90s à celle qui suivra, c’est son obsession à gratter là où ça fait mal. A traverser les pires horreurs pour y trouver, au final, ce qu’il y a de plus beau dans chacun de nous.
Même quand elle se montrait plus théâtrale sur To Bring You My Love, elle ne dépassait jamais la limite séparant une véritable émotion à des poses narcissiques. Pour résumer brièvement, sa voix et son attitude font autant mouche que celle de Björk au même instant. Il n’y a pas de surjeu et encore moins de facilités chez elle.
Si Is This Desire n’est pas considéré comme un vilain petit canard aujourd’hui, il a néanmoins fait un peu polémique chez les admirateurs de la dame à sa sortie. Trop électronique, moins rock et plus introverti, le disque était moins accessible que tout ce qu’elle avait fait jusqu’à présent. Le travail fourni par Polly Jean était en plus régulièrement assailli d’ondes négatives puisqu’il s’agissait de sa première remise en question concernant son style. Et sa collaboration avec le producteur Flood l'encourageait à expérimenter. Ce qui a donné son album le plus difficile à enregistrer selon ses dires. D’ailleurs, quand on entend ces hurlements humains et industriels se mêlant entre eux sur « Joy », on n’a franchement pas le cœur de la contredire !
Oui, PJ n’a pas exorcisé ses démons et c’est cette raison qui confirme que la meilleure partie de sa carrière est concentrée dans cette décennie. Donc si changement de style il y a, la mentalité reste la même : sa musique est une catharsis et son impact reste principalement émotionnel. Surtout qu’avec le recul, son chant sensuel est parfaitement en accord avec les voix féminines suintantes qu’on pouvait entendre dans le trip hop à cet instant. Donc ce rapprochement est non seulement légitime, mais il est également logique. Et si ça tombe au moment-même où le genre atteint son pic de qualité (merci Mezzanine), il faut le prendre tout bonnement comme un heureux hasard.
Passé ces questions d’ordre éthique n'ayant pas une grande incidence sur la qualité de la musique (on peut être opportuniste et très doué), Is This Desire? pose une question dont on soupçonne la réponse sans la connaître parfaitement tout en dévoilant une bonne fois pour toute la force de cette auteure/compositrice de talent : l’art de cultiver le mystère.
PJ Harvey étant formidable lorsqu’il s’agit de stimuler l’imagination, surtout chez nous les hommes. Car exclure toutes dimension sexuelle dans son œuvre (puisque tout est sexuel chez Polly) équivaudrait à passer à côté de son univers torturé. Si des morceaux aussi minimalistes que « Angelene », « Is This Desire? » et « The Garden » tordent les tripes, mettent le général au garde à vous et font monter les larmes aux yeux, c’est parce que son interprète a mis une partie de son âme dans ces bouts de musique. Ce détail important, c’est ce qui fait la différence entre elle et les innombrables auteurs/compositeurs absolument soporifiques encombrant le marché (si j’étais d’humeur polémique, je dirais même qu’il n’y a pas besoin de chercher longtemps pour trouver des noms).
Sale (« No Girl So Sweet »), tranchant (« A Perfect Day Elise » qui a pourtant tout du tube radio tant sa mélodie est accrocheuse) ou encore mélancolique (« The River » et sa trompette touchante), Is This Desire a des allures d’œuvre somme. La majorité des facettes de PJ Harvey y sont concentrées et il est possible que ça soit une des raisons la poussant à le considérer comme son meilleur opus. Ce qui ne fait que renforcer mon idée selon laquelle, si elle s’était arrêtée ici, c'eût été une fin en apothéose pour elle.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.