Lâcheté et mensonges
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S’il y a des genres musicaux que nous ne regrettions pas, et dont nous ne pensions pas ressentir un jour la nostalgie, c’est bien le rock héroïque et ses tendances au pompiérisme qui caractérisèrent une bonne partie de la musique à la fin des années 80, et au début des débuts 90. Ce qui nous laisse pour le moins interloqués devant l’effet qu’a sur nous le "It’s Happening Now" de Mustii ! Dès le titre éponyme d’ouverture de l’album, on se retrouve à marcher à fond : pas très loin des tendances post-punk emphatiques d’Editors, voilà un titre qui soulève (c’est le cas de dire) l’enthousiasme. Une emphase et un enthousiasme qui, de fait, ne va quasiment pas retomber au long des quarante minutes de cet album absolument irrésistible – qui frôle occasionnellement le stadium rock ("New Becoming") mais court surtout le beau risque l’épuisement, à la longue – un album qui aurait été un hit planétaire il y a trente ans… Et ce n’est pas le riff imparable et les montées supersoniques de Alien qui vont contredire cette filiation de Mustii. Tout au long de l’album, les sonorités tant prog rock que cold wave se conjuguent avec une atmosphère soul qui tient largement au chant remarquable de Thomas Mustin, qui évoque tantôt la fragilité d’Alex Turner, tantôt l’assurance lyrique de Mick Hucknall : on pense çà et là au meilleur de Simply Red, par exemple sur le dévastateur "Give Me Hand", encore un hit potentiel dans un monde qui écouterait encore du Rock, sur le parfait "After Dark", trois minutes de pure extase, ou encore sur l’introduction pétrifiante de "Skyline"…
Mais qui est Thomas Mustin, l’homme derrière Mustii ? C’est d’abord – mais ça ne le restera pas après cet album, c’est certain – un jeune acteur belge, vu en France dans "Grave", dans "l’Echange des Princesses" et dans la première saison de "la Trêve", la remarquable série policière. Il brûle aussi les planches de théâtre, et reçoit en 2019 le Magritte du meilleur espoir masculin du cinéma belge ! Et il se lance dans le Rock, avec déjà à son actif un EP, "The Darkest Night", et un premier album, "21st Century Boy", avec un succès conséquent dans son pays. Bref, il semble bien qu’on ait affaire à ce genre de type monstrueusement doué pour tout ce qu’il fait, et l’écoute – à genoux, souvent, tellement l’album est terrassant – de "It’s Happening Now" laisse penser que la France succombera à son tour.
Et comme Thomas est, en bon acteur, un homme qui aime raconter des histoires – et des histoires qui font du sens et génèrent de l’émotion -, "It’s Happening Now" ne se borne pas à être une succession de chansons quasiment parfaites, c’est aussi un concept album en forme d’hommage à son oncle Michel, schizophrène au destin tragique. Thomas dit s’être inspiré, pour ce portrait – remarquablement chaleureux et positif – de la magnifique singularité apportée par la maladie mentale, de films comme "Donnie Darko", "la Ballade de Bruno", "Lost Highway" ou "My Own Private Idaho", ou de tableaux d’Edward Hopper : des références très lourdes, mais qui, paradoxalement, ne sont pas ridicules quand on embrasse la puissance quasi tellurique de cet album.
« Wrong Side, freaky eyes, I could be an alien / Wild life, all the time waiting for a Miracle » (Mauvais côté, yeux étranges, je pourrais être un extraterrestre / Vie sauvage, tout le temps en train d’attendre un miracle) : l’hommage à Bowie, dont Thomas se déclare fan, est une évidence sur "Alien". "Pretty World" est la seule plage calme de l’album et nous bouleverse. "Silver Light", avec ses chœurs puissants et ses synthés, pourrait figurer en bonne place sur les meilleurs albums d’Editors. "Midnight Angel" est une balade qui devrait faire s’allumer des dizaines de milliers de briquets dans les salles de concert. "Run For Your Friends" a quelque chose de springsteenien, tandis que "Shame" louche vers le Rock synthétique de Eurythmics, pas si loin en fait de ce que font également en ce moment Future Islands.
Pour rassurer ceux que nos promesses de grandiloquence effraient – et c’est bien normal – il faut dire que "It’s Happening Now" s’affranchit de toute lourdeur indigeste, par la magie d’une grâce aérienne et d’un discours intimiste, qui transcendent facilement les clichés Rock. Et par une vitalité organique qui dépasse l’utilisation permanente des claviers. Et le final de "Suburban King", « See you later, little brother ! », ne peut que nous laisser bouleversés, et impatients de remettre la première chanson, à nouveau. Et d’écouter encore et encore "It’s Happening Now"…
Découverte improbable et littéralement stupéfiante, "It’s Happening Now" est une magnifique expérience. Pas loin du miracle tant attendu.
[Critique écrite en 2022]
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Créée
le 26 mars 2022
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