MAFIA BLUES
Dans une décennie où le rap français peine à se renouveler (pour pas dire éclaté), SCH s'impose une fois de plus comme le meilleur représentant de ca génération. Avec ce dernier projet, il ressort sa...
le 7 déc. 2024
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Qu'on le veuille ou non, 2024 restera dans les annales du rap français. 2024, c'est l'année du dénouement d'une trilogie iconique du genre, et de la souveraineté de son auteur, SCH, qui a enterré tous ses concurrents, d'abord avec JVLIVS Prequel : Giulio sorti fin mai 2024, auquel j'ai adressé quelques lignes, puis avec JVLIVS III : Ad Finem sorti une vingtaine de jours avant Noël. Et moi qui avais demandé au Père Noël, comme cadeau anticipé, une fin de trilogie JVLIVS réussie... Je peux dire que j'ai été gâté.
I. La fin de JVLIVS
D'abord, il est important de mentionner qu'Ad Finem reste fidèle à la trilogie JVLIVS, en conservant ses éléments caractéristiques : les interludes, cette ambiance mafieuse et ce côté très descriptif et cinématographique que l'on retrouve sur les autres opus, et qui est poussé à son paroxysme sur ce dernier projet. Booska-P a parfaitement résumé ce point : « SCH offre un véritable film auditif à ses fans où s’entremêlent sa passion pour le cinéma, le grand banditisme, la ville de Marseille et la culture italienne ». Et le meilleur exemple selon moi pour imager cette déclaration serait Soldi famiglia, où on retrouve le SCH implacable en collaboration avec Sfera Ebbasta, qui apporte cette touche italienne avec brio, avant que la prod' se déchaîne et nous plonge dans la fiction. En fermant les yeux, j'arrive vraiment à visualiser le Scélérat faisant une descente sanglante en équipe dans les rues napolitaines pour régler ses comptes.
Mais on l'a compris, JVLIVS touche à sa fin. La locution latine Ad Finem traduit l'idée de finalité et d'aboutissement d'une tâche, d'un objectif. Dans le cas de JVLIVS, cette locution prend un double sens puisqu'elle représente d'une part la fin d'une aventure pour SCH avec le dénouement de sa trilogie, et d'autre part, par extension, la mort de son personnage Julius. Cette mort imminente se fait ressentir dès le début de l'album avec un Julius qui se replie sur lui-même et fait le bilan de sa vie, d'abord sur ses interludes, à commencer par Ego sum (« Je suis »), racontées par l'artiste lui-même et non pas par feu José Luccioni comme sur les tomes I et II, ou Gérard Surugue sur le Prequel. On suit la même logique tout au long de l'album avec des morceaux comme Deux mille, qui traduisent toute la nostalgie d'un homme qui voit sa vie défiler avant sa mort, et des tracks plus introspectives, avec un Julius qui intériorise un peu plus encore au fur et à mesure qu'on se rapproche de la fin du projet (Rose noire, Anamnèse, Jour d'octobre...). Cette idée se traduit également sur le plan musical, notamment avec l'absence des guitares méditerranéennes typiques des JVLIVS, remplacées par des guitares électriques accompagnées de violons et de violoncelles pour apporter ce côté dramatique et théâtral à l'œuvre. Bien évidemment, les pianos sont aussi de la partie ; on sait à quel point SCH les aime, et il n'a pas hésité à leur offrir davantage de protagonisme (Deux mille, La pluie).
II. Une merveille musicale
Parlons justement de musique au sens propre, car c'est aussi et surtout de cela qu'il s'agit. Ad Finem est un condensé de tout ce qu'on pouvait espérer de cet album : des tracks typiques et à la hauteur de la trilogie (ce qui veut évidemment dire intro et outro iconiques, avec Stigmates et Lumière blanche) ; un retour aux sources avec le fameux « SCH qui chiale sous autotune » sur Miroirs, comme il l'aurait fait sur A7, Anarchie ou Deo Favente ; et surtout de vraies propositions musicales ! De la variété aux airs d'Aznavour sur Deux mille, aux sonorités synthwave sur Quartiers nord (qui a retourné Bercy lors de son concert du 9 décembre, auquel j'ai eu la chance d'assister), en passant par la drill de luxe sur D'hier à aujourd'hui et la mélodie brute sur La pluie (petite démonstration de comment sublimer l'autotune), SCH nous aura tout fait. L'ensemble est admirablement instrumentalisé, avec des transitions parfaites pour nous maintenir en haleine (même dans un très minime ventre mou sur lequel je vais revenir), et on doit notamment cet exploit à une production folle et les producteurs, musiciens et beatmakers qui se sont donnés à 200% sur le projet. Impossible de ne pas mentionner Seezy, mais n'oublions pas non plus Augustin Charnet, Vito Bendinelli, Guilherme Alves, Luc Blancho, Skalpovich... Entre autres.
Sur le plan lyrique, il y a beaucoup à dire et en même temps très peu quand on connaît la plume de SCH, dont la beauté n'échappe plus à personne. L'écriture du S est incomparable, avec une versatilité sans égal qui lui permet d'osciller entre sa poésie de la rue et cet aspect fictif et très descriptif que j'ai mentionné au début de cette critique. On passe d'une référence aux coups de pelle de Flashing Lights de Kanye West aux trente mètres de cierges allumés par sa grand-mère. Je développerai un peu plus ce point en terminant ma critique par une sélection de lines marquantes... Mais en tout cas, que ce soit en termes de lyrics ou d'instru, la replay value de ce projet est exceptionnelle, et on découvre de nouvelles lines ou de nouvelles sonorités à chaque réécoute.
III. Que peut-on reprocher à Ad Finem ?
Alors, que peut-on reprocher à SCH sur Ad Finem, après tous ces éloges ? Difficile de pointer du doigt des défauts, lorsqu'un artiste nous propose quelque chose d'aussi abouti, allant bien au-delà de nos attentes... Mais c'est aussi ça la critique. Alors je ferai mention de ce que j'ai le moins apprécié, à savoir l'enchaînement de D'hier à aujourd'hui, qui me parle très peu et que je n'arrive pas à me prendre même à la réécoute, et du feat avec Damso, 02:00, qui reste un très bon morceau selon moi (n'en déplaise à tout ce que j'ai pu lire et entendre) mais dont j'attendais clairement autre chose ; je pense qu'un passe-passe entre ces deux artistes, avec un Damso essayant de s'approprier un peu mieux l'univers JVLIVS, aurait pu être intéressant. Saluons tout de même le culot de Damso sur sa dernière line, il fallait oser. On pourrait donc presque parler de ventre mou, même si j'ai du mal à employer ce terme sachant que ces deux tracks sont séparées par l'admirable Rose noire et suivies de La pluie, que j'aurais d'ailleurs aimé découvrir en même temps que l'album plutôt qu'en single ; autre point négatif que je relève. C'est précisément sur la base de ces deux remarques que je retire un point au 10/10 que mériterait amplement Ad Finem qui, pour le reste, titille la perfection.
Conclusion :
J'attendais beaucoup d'Ad Finem, mais je pensais qu'SCH n'avait plus rien à prouver après cette petite dizaine d'années de carrière aussi fructueuse. Et j'avais tort. Non seulement SCH a confirmé cette année qu'il est le meilleur rappeur de sa génération, mais il a aussi fait entrer le rap dans une autre dimension, faisant de la rue un Opéra. Et c'est la fin la plus grandiose que l'on pouvait souhaiter à cette trilogie déjà iconique. Avec Ad Finem, la boucle est bouclée ; à l'image de son personnage JVLIVS qui se libère de cette vie tourmentée, SCH est enfin libéré du poids JVLIVS et va pouvoir s'aventurer un peu, peut-être avec une nouvelle mixtape endiablée à la manière de Rooftop ? Ou pourquoi pas vers d'autres horizons artistiques, comme le cinéma dont il est un grand fervent ? L'avenir nous le dira...
Mon top 3 :
1. La pluie
2. Deux mille
Quelques lines :
La culpabilité n'est pas un poids chez l'homme que l'on déshumanise, mais elle laisse des stigmates indélébiles, que ni le temps, ni l'amour n'effacent (Intro – Ego Sum)
J'pourrais écrire un livre sur ma vie, j'ai à peine trente berges, ma grand-mère a allumé tant d'cierges, si on les groupait en une seule flamme, elle f'rait trente mètres (Stigmates)
Les affaires sont les affaires et j'ai des choses à faire toute la nuit, tôt ou tard, tu retournes dans l'oubli (Le taulier)
Indomptable comme ceux qui n'ont rien ou comme ceux qui ont tout (Dans la tête)
Qui mérite vraiment ma haine ? Qui mérite un câlin assorti d'une lame ? Qui mérite un million assorti d'une balle ? (Interlude – Avversita)
Quand les numbers causent, ça met l'amour et la paix dans un piège, les deux se taisent (Miroirs)
J'suis né avant les années 2000, j'veux voir voler les automobiles, et les cernes sur ma photo de profil, j'pense à décembre, j'pense à avril, j'ai l'alibi avant le mobile (Deux mille)
Que des mecs fiables, la course au milliard, la rue mène au trou, au corbillard ou au billard, soldi famiglia (Soldi famiglia)
Les ténèbres planent sur la ville, j'suis au fond du bar, j'étais dans un verre de scotch en train d'extraire la beauté qu'y a dans les trucs moches (Multirécidiviste)
Ça pue la rue comme troisième œil, s'il faut, j'les tronçonne pour aller mieux et j'irai vider mon cœur sur une porte en marbre (D’hier à aujourd’hui)
Jamais on mendie, on va voler, j'en veux aux grands qui m'ont fait rêver avec leurs cabriolets (Rose noire)
Elle m'aime d'un amour immortel, pour la vie à la mort, me tue pas, j'ai laissé son cœur en bordel, j'espère que le désordre la tue pas (02:00)
Le bruit de la pluie sur les feuilles mortes à la fin de l'automne, la rosée des larmes sur les manches des chemises blanches, si une fleur est une fleur parce qu'elle fane, un homme est un homme parce qu'il pleure et qu'il meurt (La pluie)
J'ai été élevé par des veuves, ensorcelé par des meufs, du coup, j'ai fait pleurer ma vraie meuf (Anamnèse)
Dans l'game comme Clyde, masque troué, j'suis né du mauvais side, la demande et l'offre, finir à la pelle comme la meuf de Flashing Lights (Quartiers nords)
Dans une vie monotone aux couleurs d'automne, comme le seul jour d'octobre où le ciel est bleu (Interlude – Jour d’octobre)
J'entends les murmures des murs parler trop fort d'mes sutures (Missiles)
Entre l'avoir ou l'être, entre quatre murs ou quatre planches, j'irai trouver les réponses dans la lumière blanche (Lumière blanche – Ad Finem)
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Créée
le 10 déc. 2024
Critique lue 63 fois
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