Sur la bonne voie
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le 18 févr. 2021
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Après une riche année 2019 avec le disque All et la parenthèse Portrait, Yann Tiersen revient aujourd’hui avec Kerber ; un album réalisé dans son récent studio, l’Eskal, situé sur l’île d’Ouessant. Produit par Gareth Jones qui avait déjà officié sur son disque précédent, le projet s’oriente dès le départ vers un registre ambiant où les métamorphoses sont légions et la précision sonore reine.
Fruit d’un complexe travail d’écriture et d’arrangements, les sept titres du disque dévoilent un équilibre savant entre simplicité mélodique, limpidité harmonique et ornements soignés, quelques part entre piano terrestre et synthétiseurs éthérés.
Ainsi, Kerlann pose d’emblée des nappes sonores composées de textures cellulaires toutes en modulations et micro-variations, bientôt contrebalancées par un piano lointain asseyant rythme et tonalité pendant que la mélodie se dessine. Dans cet environnement sonore, les champs magnétiques deviennent chants mélodiques, et ce notamment grâce aux ondes Martenot, chères au compositeur depuis le début des années 2000 et sa rencontre avec l’instrumentiste Christine Ott sur son album L’absente. Le spectre du piano ramène lui l’instrument à sa nature première d’instrument de percussion où les cordes, sèchement frappées, rappellent les sonorités d’instruments orientaux, quelque part entre le guzheng chinois et le cymbalum hongrois. Dans les dernières secondes, les fréquences graves et aiguës transpercent la lumière, comme les traits noirs quadrillant l’espace sur la pochette dessinée par Katy Ann Gilmore.
Ar Maner Kozh, outre sa discrète ouverture électronique que n’aurait pas renié les Allemands de Kraftwerk, se compose d’arpèges au rythme immuable et de battements électroniques menant à une boucle jouée en reverse façon Like Spinning Plates de Radiohead. Au bout de quatre minutes, une voix féminine, robotique puisque ralentie et glitchée, fait son apparition : la première mais pas la dernière, puisqu’elle s’inscrira ensuite comme une sorte de leitmotiv du disque, s’immisçant parmi tous ces sons faisant appel aux résonances, transformations et différents traitements sonores.
Dans Kerdrall, la voix se désincarne plus encore, loin des effluves directes encore présentes sur Infinity, son dernier album avant un retour à une musique purement instrumentale. Un peu comme si ces ombres granulaires, vestiges d’une présence révolue, était un moyen de réintroduire un peu d’humanité dans cet univers, ces restes de l’ancien monde. On ignore à quoi a bien pu ressembler le confinement pour le breton exilé à Ouessant toute l’année durant ; un isolement choisi qui permet au compositeur de poursuivre ses explorations musicales en dehors des pressions et perturbations chères à la notoriété, lui qui fût révélé auprès d’un large public il y a tout juste vingt ans par la bande-originale du film Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.
C’est aujourd’hui du côté des sons organiques, mi-artificiels mi-naturels, que cherche Yann Tiersen, à l’image de Ker Yegu. On sait que Damon Albarn s’apprête à sortir cet automne un disque inspiré par les paysages islandais, terre sacrée de Björk et autres Sigur Rós, mais ne serait-ce pas aussi le cas de Yann Tiersen ici ? Au-delà des côtes bretonnes, quelles îles sont réellement visibles ? Dans ces sons en saccades, ces tuilages réverbérés et réversibles, il offre ainsi des pics pointillistes et des paysages uniques.
Le musicien, capable de générer de fortes images abstraites et mentales, aime aussi le concret, le réel, le visuel. Dans le clip de Ker al Loch, réalisé par Sam Wiehl et Kit Monteith, des formes géométriques se déploient au rythme des multiples variations de rythmes, timbres et textures. Le piano devient synthétiseur modulaire, son arpégiateur boîte à rythmes. Tout est question de connexions, de transformations, de symbioses, d’anamorphoses.
Cependant, pour vivre totalement l’expérience voulue par Yann Tiersen avec ce projet, il faut encore voir le film éponyme, disponible sur une plateforme de streaming payante. Une occasion idéale de vivre, en musique, la magie de l’univers intérieur comme extérieur du compositeur, entouré de sa femme Emilie et du musicien Jens Thomsen.
Fresque sensible, Kerber est elle la piste la plus longue du disque avec ses dix minutes au compteur. Un format qui s’impose comme une évidence tant l’axe de cette pièce maîtresse se déplace avec un charme intemporel, immuable et pénétrant. Et ce n’est pas Poull Bojer, conclusion toute en couleurs de ce beau voyage, qui déviera de cet univers qui se joue de ces dimensions.
En parvenant pleinement à faire cohabiter les sonorités acoustiques et électroniques, Yann Tiersen propose un voyage aux textures denses, délivrant des ambiances complexes mais toujours accessibles, où le piano est à la fois matrice et prétexte. Il crée ainsi un véritable écosystème musical, soucieux de sa géographie, sa biodiversité et son époque, que n’aurait pas renié le compositeur et théoricien R. Murray Schafer, disparu ce mois-ci. Méditatif et onirique, ce disque profondément impressionniste fait alors sens dans un monde qui en manque tant.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste This Is Happenning : Journal de Concerts [Chronologie commentée]
Créée
le 28 août 2021
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