Cave, loser magnifique, s’essaie à des vocalises mélancoliques qu’on ne lui connaissait pas alors

C’est leur troisième album en trois ans et plus rien n’arrête les Bad Seeds qui squattent toujours Berlin en cette riche année musicale de 1986. Après avoir été encensés par la presse britannique à la sortie de leur première sortie , “From Her To Eternity” puis allègrement défoncés à la sortie de “The First Born is Dead” jugé trop “blues”, et trop “américain” par les critiques, les Bad Seeds reviennent plus déterminés que jamais avec un opus composé uniquement de reprises. L’histoire de la musique nous l’enseigne parfaitement, cet exercice est casse-gueule. Pourtant avec ce troisième opus en forme de majeur bien droit, intitulé “se battre contre des moulins à vents” (citation tirée d’un verset de la Bible), Nick Cave et ses Bad Seeds suggèrent à ceux qui n’aimeraient pas d’aller se faire foutre et laisse à celles et ceux qui resteraient le soin de juger eux-mêmes de leur prestation.



A l’occasion de l’enregistrement de cet album, les Bad Seeds en profitent pour compléter leur formation et invitent Thomas Wydler à les rejoindre (ce dernier est toujours un membre actif du groupe à ce jour). Le groupe a commencé à enregistrer tout un tas de chansons, apportées pour des raisons plus ou moins personnelles ou musicales par chacun d’entre eux, ont fait des essais et n’ont conservé que les titres qui à leurs yeux fonctionnaient. Une démarche logique et pourtant surprenante de la part de ce groupe connu pour ses excès et ses débordements. Le disque se compose finalement de quatorze titres, tous choisis par l’ensemble du groupe.



L’ensemble des morceaux choisis font partie du folklore américain, confirmant le chemin pris avec “The First Born is Dead” on navigue alors entre découvertes et sons familiers. Certains titres sont mondialement connus tels que “Hey Joe” (reprise forte qui ferait passer celle d’Hendrix pour une blague tant l’ambiance lugubre sied aux paroles) ou “By the time I get to Phoenix” (la chanson la plus reprise de l’histoire de la musique paraît-il), tandis que d’autres sont déterrés du fin fond de l'histoire Américaine telle que “Jesus met the woman at the well” dont l’auteur est inconnu.



On reste quand même dans l’ambiance bayou sinistre de l’album précédent avec cette moiteur, cette sensation de poussière poisse qui colle aux pompes et on entend à nouveau des histoires de meurtriers condamnés à la potence. Les Bad Seeds ont même l’audace de reprendre de la country et réussissent l’exploit de la rendre encore plus caverneuse et suppliciée qu’a déjà pu le faire Johnny Cash. En revanche, à l’écoute globale et ce, malgré les thèmes abordés, la bonne ambiance est générale et c’est ce que l’on retient une fois l’écoute achevée : on est pas trop mal. Pas trop mal malgré les problèmes, pas trop mal malgré les fantômes qui nous hantent.



Et des fantômes, cet album en est bourré : celui de Johnny Cash (bien vivant à l’époque), qui a chanté pas moins de trois titres repris ici (“Muddy Waters”, “The Singer” et “Long Black Veil”); Jimi Hendrix (pas bien vivant à l’époque), qui a déjà repris “Hey Joe” et “Black Betty” et aussi celui de Warhol (pas encore mort) qui clamait que “All Tomorrow’s parties” des Velvet Underground était sa chanson préférée. Il y a surtout le fantôme de The Birthday Party qui hante cet opus, grâce à la participation de quelques anciens membres, de-ci de-là des chansons, de façon presque anonyme, comme un chuchotement d’outre tombe.



Cave dira plus tard de cet album qu’il a permis au groupe de grandir, de se chercher puis de se trouver musicalement. C’était l’occasion de sortir de leur zone de confort en s’essayant à des sonorités et des rythmes jusqu’alors inexploités. Effectivement, avec des morceaux tels que “By the Time I get to Phoenix” ou “The Hammer song”, on découvre une nouvelle facette vocale de Cave qui, en loser magnifique, s’essaie à des vocalises mélancoliques et ténébreuses qu’on ne lui connaissait pas alors et qui nous embarquent dans les abîmes profondes de ses idées noires.



Les Bad Seeds s’émancipent ici d’un style post-punk qui aura fait leurs débuts afin de se trouver leur propre genre musical et de porter comme un étendard la joie sinistre de chanter l’amour destructeur, Dieu et la mort. On en demande encore !



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le 26 juil. 2024

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