Lâcheté et mensonges
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Il est facile de trouver une excellence excuses dans la multitude de jeunes groupes apparaissant et disparaissant très vite de l’autre côté du Channel, mais nous sommes bel et bien passés en septembre à côté de Killjoy, le premier album d’une formation que nous essayions pourtant de suivre près, Coach Party : ce quatuor punk / indie rock, voire pop, venu de l’Île de Wight nous avait enchantés avec ses premiers EP et avec une prestation puissante à Rock en Seine. Ce n’est peut-être pas si mal, puisque les avoir revus au Café de la Danse nous a offert la possibilité d’entendre leurs nouveau titres « vivre » sur scène, qui reste quand même LE lieu où la véritable excellence des groupes se mesure. Et on peut donc l’affirmer sans détour, Killjoy est une belle réussite, dans un genre où les prétendants à la couronne ne manquent pas.
Comme son titre et sa pochette aux squelettes l’indique, on ne peut pas dire que Coach Party ont plus qu’avant le cœur à la grosse rigolade, contrairement à ce que leurs sourires permanents sur scène indiquent : le sujet de leurs chansons est avant tout leur colère devant une société injuste, limite inhumaine, en partie vis à vis de la femme, puisque l’âme du groupe est une paire de jeunes femmes, Jess Eastwood (à la basse et au chant) et Steph Norris (à la guitare), leur groupe s’appelant à l’origine Jeph. La tentation de crier « Fuck » au monde entier est toujours là, impérieuse, et la haine a chez Coach Party une saveur presque doucereuse (All I Want to Do is Hate, titre emblématique). Mais entre colère et nihilisme, la frontière est parfois ténue : « Focus on you, yeah, I’ll focus on me / If anyone cares, I’m home watching TV / I don’t get sick, I’m an ox, l’m a fire sign / Take me to the edge, yeah, I’ll jump in my own time / (I don’t need anyone) » (Occupe-toi de toi, ouais, je m’occuperai sur moi / Si quelqu’un veut le savoir, je suis chez moi en train de regarder la télé / Je ne tombe jamais malade, je suis forte comme un bœuf, je suis un signe de feu / Emmène-moi au bord de la falaise, ouais, je sauterai quand ce sera mon tour / (je n’ai besoin de personne)), clame Jess dans le premier titre, l’enthousiasmant What’s the Point in Life : évidemment, à la manière punk de 1977 (souvenez-vous du slogan « No Future »), il ne s’agit pas ici de promouvoir l’indifférence et le renfermement sur soi à l’heure où la planète brûle, mais au contraire de dénoncer bruyamment cette attitude d’autruche égoïste qui est la nôtre. Tout en nous rappelant cette évidence : nous n’avons qu’une vie, alors vivons là !
Fondamentalement, la musique de Coach Party continue comme à leurs débuts à aller et venir entre punk rock mélodique – dans la grande tradition britannique de la fin des années 70, qui veut que les plus beaux cris de colère se doivent être des chansons immédiatement accrocheuses, qu’on pourra aussi chanter sous la douche -, parfois à la limite du power pop, et rock indie plutôt US, dans la tradition créée par les Pixies (l’hystérie peut surgir facilement au détour d’un refrain). Formellement, néanmoins, Killjoy marque une vraie évolution par rapport aux singles et EP précédents, puisque le son est plus brillant, plus poli (d’où l’impression parfois d’une power pop lustrée), cet éclat ne desservant pas la colère du groupe, mais la rendant plus percutante. Killjoy est une tuerie, certes, mais une tuerie séduisante. Et puis, même si évidemment, comme chez les voisines de Wet Leg, c’est le duo féminin qui concentre l’attention, il faut reconnaître la puissance de frappe de Guy Page à la batterie, et surtout le très beau jeu de guitare de Joe Perry (belle homonymie !) qui ajoute beaucoup de substance à des titres qu’on pourrait accuser d’être parfois trop respectueux d’une certaine orthodoxie indie rock / punk.
Parasite est l’un des titres les plus extrêmes, les plus violents que Coach Party aient jamais composés, et, placé en seconde position, sert de déclaration d’intégrité : ce n’est pas parce que nous vous offrons un album « soigneusement produit » que nous baissons la garde ; et d’ailleurs nous réglons nos comptes avec ceux qui nous pourrissent la vie (« I’d do most anything I could not to see you, you » – Je ferais presque tout ce qui est possible pour ne pas te voir, toi) ! Micro Agression est un règlement de compte nécessaire avec le comportement abusif de ces mâles qui ne comprennent pas le mot « non » : « Stop, listen when I say stop / Give me your attention / Am I making myself fucking clear? / The flowers that you bought me / Doesn’t mean you’re sorry » (Arrête, écoute-moi quand je te dis stop / Fais attention / Est-ce que je me fais bien comprendre, putain ? / Les fleurs que tu m’as achetées / Cela ne veut pas dire que tu es désolé). Le fait que la chanson combine un hard quasi « metal » et des vocaux scandés rappelant les plus beaux moments des Brésiliennes de CSS la rend encore plus efficace.
A l’autre extrémité du spectre, celle d’une musique moins agressive portant des textes plus introspectifs, où l’on explore le mal-être générationnel, Born Leader reconnaît la vulnérabilité qui se dissimule sous l’apparence d’une Jess confiante en elle-même. July est une joie de chanson « indie » à reprendre en chœur, mais traite de crise existentielle aigüe. Always Been You, qui clôt l’album est même une jolie lettre d’amour, teintée de la souffrance d’avoir été, malheureusement écrite trop tard.
Avec ce premier album, Coach Party confirment une chose toute simple, que l’ami John Lydon nous a rappelé il y a peu : la colère est une énergie. Et même, pour le coup, une énergie POSITIVE.
[Critique écrite en 2023]
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Créée
le 25 nov. 2023
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