Lâcheté et mensonges
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En 2017, nos Nits bien-aimés nous offraient l’un de leurs plus beaux albums, "Angst", travail expérimental à la fois audacieux et chaleureux sur la mémoire. Deux ans plus tard, voilà nos Hollandais, de plus en plus flous avec l’âge, de retour, poursuivant clairement dans le même registre. "Knot", avec sa pochette futée structurant de mini photos en un tissu serré, reprend effet le travail d’introspection auquel se livre Henk Hofstede, en se penchant sur sa famille et principalement sur ses rapports avec ses parents. Et avec leur disparition.
Car "Knot" bénéficie, oserait-on dire, d’un thème universel, intime, bouleversant : sur "The Garden Centre", on peut entendre au loin, en prêtant l’oreille, la maman (?) de Henk lui parler de ses chemises, nous rappelant que pour nos parents, nous sommes toujours des enfants, quel que soit notre âge. Et que, avec leur disparition – inévitable, infiniment cruelle – nous cessons définitivement d’être des enfants, pour nous retrouver dans une solitude infinie. "The Garden Centre" est le genre de célébration qu’on aimerait tous écrire pour notre mère disparue : entre solennité et tendresse…
"Knot" déçoit, inévitablement, nos attentes… dans la mesure où les Nits ont cette fois sacrifié quasi intégralement l’aspect mélodique de leur musique, pour explorer plus que jamais avant ces atmosphères planantes, éthérées, qui ont toujours constitué le versant plus expérimental de leur pop-music classique. Il faut d’ailleurs en arriver au huitième morceau, le magique "The Electric Pond", sans doute le plus réussi de l’album, pour qu’apparaisse, très brièvement, quelque chose qui ressemble à une mélodie. C’est évidemment frustrant, mais ce n’est pas non plus dramatique si l’on a accepté d’entreprendre ce voyage intérieur dans des ambiances suspendues, hypnotiques, entre catharsis et abandon : il est peu probable qu’un nouvel arrivant dans l’univers presque surréaliste des Nits ait la patience d’écouter au moins une demi-douzaine de fois "Knot" pour arriver à en comprendre finalement et le but et le chemin à suivre. A une époque d’immédiateté, pourquoi donc, me demanderez-vous, faire de tels efforts pour comprendre ce qu’ont voulu faire trois sexagénaires hollandais qui ne sont plus depuis longtemps plus à la mode ? Eh bien, sans doute parce qu’il y a au bout de cette exploration – conduite les yeux bandés, dans le noir – une promesse tenue de bonheur ténu, promesse que peu de musiques peuvent réellement offrir.
Parmi les fans, il y a donc un débat qui fait rage, entre ceux qui célèbrent un album original, audacieux, incroyablement riche émotionnellement, et ceux qui regrettent que l’on doive s’y ennuyer aussi franchement et aussi longtemps pour pouvoir en extraire quelques gemmes. Les deux avis se défendent, et nous ne recommanderions donc pas à un néophyte de rentrer dans l’œuvre magistrale des Nits par cette porte-là, sans doute réservée aux initiés. Toutefois, comment s’empêcher de trouver des échos mystérieux entre ce grand disque sur la perte, sur la difficulté à accepter un monde dont nos parents ne font plus partie, et la publication simultanée du "Thanks for the Dance", ultimes mots d’amour de Leonard Cohen au seuil de la tombe ?
Oui, il n’est pas toujours facile d’aimer la musique que font les Nits, et il faut souvent bien du temps pour même la comprendre. Pour "Knot", il faut même se réserver le droit de changer d’opinion au fil du temps. Et ça, c’est un privilège que partagent les amoureux des Nits.
PS : Pour construire cette courte chronique d’un album éminemment complexe, nous nous sommes référés à des discussions entre fans sur cet album qui les questionne. Qu’ils soient remerciés pour leur contribution !
[Critique écrite en 2019]
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Créée
le 26 nov. 2019
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