L'angle
7.3
L'angle

Album de Détroit (2024)

La beauté cruelle d'un disque confidentiel.

Il est toujours difficile de trouver les mots justes pour décrire la musique de "Detroit" et osons-le dire : de Bertrand Cantat tout court car, finalement, entre cet album et "Amor Fati" il y a plus une différence de forme que de fond. Sur les deux albums de "Detroit" (car il y en a eu un premier en 2013) c'est toujours bien la collaboration entre Cantat et Pascal Humbert qui demeure centrale et féconde.


Ainsi, "L'angle" sorti en cette fin d'année 2024 dans le silence et le quasi anonymat est une tentative discrète pour l'ancien détenu et compositeur/chanteur/interprète de génie de poursuivre une carrière légitime mais toutefois interdite par les instances morales entrant en vigueur depuis quelques années.


Que chaque battement de cil du principal intéressé engendre de nouveau une éternelle polémique insoluble aux relents nauséabonds cela devient tellement habituel et lassant qu'on en vient, paradoxalement, à être heureux que ce disque passe "inaperçu" excepté des principaux intéressés. Cela fera moins de bruit et plus de musique...revenir sous sa véritable identité aurait sans doute été un fiasco annoncé notamment si le principal intéressé nourrissait un projet scénique (dont on peut parfaitement comprendre qu'il souhaite y renoncer au vu des circonstances...).


Concernant l'album en lui-même (financé via une cagnotte Ulule...ouais on en est là) : c'est une merveille...quel suspens ! De toute façon c'est bien simple : que ce soit avec "Noir Désir" ou en solo ce mec n'a jamais rien raté...c'est d'ailleurs assez troublant que la musique de cet homme soit si belle, chaleureuse et humaine et toujours soucieuse d'une perfection qui contraste avec la vie chaotique et tumultueuse de l'artiste. La musique semble être le principal refuge de Bertrand Cantat : le milieu où il excelle et nous livre des textes d'une poésie délicate et troublante à mi chemin entre Rimbaud et Mallarmé (pour les passages les plus "surréalistes"). Plus que sur tout autre album sa plume n'a peut-être jamais été aussi touchante et délicate.


Pour la musique en elle-même maintenant : c'est un mélange subtile entre blues, rock, folk et chanson française pure et simple...dans ce qu'elle pouvait avoir de grand et d'élégant autrefois mais avec une voix en prime...et quelle voix ! Que ce soit sur "L'angle" qui ouvre le bal sur un rythme lent et éthéré avec un texte cryptique et un chant profond et plein de tension ou sur "Oh non non non" (rare excursion rock de l'album) singeant le grand Baschung, le boss ultime du rock français est en grande forme et maître de son inspiration. La voix est tour à tour basse, aiguë ou légèrement éraillée...mais toujours pleinement juste et avec une intensité saisissante qui fait toujours plaisir à entendre.


Le disque est dominé par les ballades blues/rock, exception faite de "L'angle" (premier single et titre atmosphérique difficile à classer) et des deux brulots rock (très réussis mais nécessitant plusieurs écoutes) que sont "Oh non non non" et "Au royaume des aveugles" aux airs de "Tostaky" qui devrait faire plaisir aux vieux fans ayant toutefois un peu du mal avec le fait que le taulier du rock français se soit quelque peut calmé avec les années. Les ballades sont pratiquement toutes sublimes : "La beauté", "L'hallali", "Les âmes sauvages" et "Je ne savais pas" sont d'une mélancolie ténébreuse viscérale et fascinante. On relèvera certains titres davantage mémorables aux premières écoutes : "Odilon" dont le style global (un peu précieux) m'évoque les "Feu chatterton" (avec lesquels Cantat a partagé la scène durant un concert d'ailleurs) ou de manière plus marquante cet extraordinaire titre qu'est "Les roseaux sociaux" dont la thématique pascalienne et la beauté fragile nous renvoient presque aux grandes heures du chef d'œuvre "Des visages des figures".


Enfin, je me dois de parler d'un titre qui m'a remué les tripes, m'a pratiquement fait chialer (à chaque écoute) et me donne toujours des frissons à chaque fois et qui demeure (d'assez loin) le sommet du disque selon moi : "Fleur du chaos". Que ce soit au niveau du texte ("On ne revient jamais vraiment des ouragans Des jardins piétinés D’au-dessous du volcan. Mais le calme est surnaturel dans l'œil typhon blessé du ciel."), de la beauté et de la simplicité des arrangements ou de la finesse et de la pudeur de l'interprétation...je ne sais pas...je crois qu'on tient là un moment d'éternité tout simplement. Je n'ai, de mémoire, quasiment jamais ressenti quelque chose d'aussi fort en écoutant un simple morceau de musique...c'est assez mystérieux, j'aurais bien du mal à dire pourquoi.


Bien sûr, "L'angle" n'est peut-être pas aussi varié (à mes yeux) que "Amor fati" mais il possède une beauté et une simplicité plus évidente encore et marque l'esprit plus vite que "Horizons" qui demandait un certain temps d'accoutumance. Pour peu qu'on veuille bien toujours donner sa chance à cet homme et accepter ce qu'il a à dire et à chanter...on est bien obligé de s'incliner devant celui qui aurait dû (en principe) être et rester tout en haut de l'affiche. Ca ne pourra jamais être le cas malheureusement...le mal est fait.


Mais la musique reste...et elle est belle.


Très belle même.

Venomesque
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