Memento Mori
6.7
Memento Mori

Album de Depeche Mode (2023)

Chapitre 15 ; "Memento Mori" ou souviens-toi que tu aimeras toujours ce groupe.

Après un "Spirit" bien accueilli par la critique mais accueilli de façon plus variée par les fans (en France en particulier) ce fût cinq longues années d'incertitude pour Depeche Mode. D'abord la pandémie qui a mis un coup d'arrêt forcé à la productivité habituelle du groupe (un album tous les 4 ans), un Gahan qui semble vouloir s'épanouir davantage dans son coin en solo en reprenant du blues, un Gore faisant de même dans son coin et un Fletcher qui....décède brutalement sans que l'on ait pu même s'y préparer psychologiquement.


Andrew Fletcher n'a jamais été un "pivot" artistique pour le groupe (contrairement à Wilder) mais c'était l'ami d'enfance de Martin Gore et un ami de longue date de Dave Gahan et surtout malgré ses faibles compétences en tant que musicien son rôle d'entremetteur entre les deux leaders du groupe était essentiel et a déjà plus ou moins contribué à sauver le groupe dans des situations de crise traversées par le passé. Outre son rôle consistant à jouer un peu de synthé sur scène et à assurer la cohésion du groupe et les démarches administratives liées à la vie de celui-ci (ce dont Gore et Gahan ont toujours voulu se passer et on les comprend...) Fletcher était un ami, un compagnon de guerre avec lequel les deux comparses ont à peu près tout vécu : des débuts laborieux à l'intronisation au rock and roll all of fame en 2020 (dernière apparition de Fletcher émouvante rétrospectivement) il était là et a toujours été selon Gahan "le plus grand fan du groupe". Perdre un tel soutien et un tel ami laisse nécessairement des traces et aurait pu signer le coup de grâce pour le groupe.


Mais non...Depeche Mode est un groupe mythique qui a déjà survécu au départ d'un membre fondateur, au départ d'un multi-instrumentiste et batteur prodigieux, à une ou deux overdoses et crises existentielles majeures...ils se relèvent encore une fois et avec un duo Gahan/Gore opérationnel et drôlement performant! Evidemment, il y a des...hum...disons "gens" qui passeront à côté du disque car ils n'admettent pas que "moins bon que Violator ou Songs of faith and devotion" ne signifie pas nécessairement "nul" ou "indigne d'intérêt" ou qui ne se souviennent pas (sans doute) qu'un album de Depeche Mode doit s'écouter un certain nombre de fois pour être apprivoisé (en dehors de "Violator"). Ceux qui n'auraient pas aimé "Spirit" ou "Delta Machine" peuvent toujours tenter leur chance cela dit : c'est plus solide, plus compact, plus affirmé et avec une profondeur et une mélancolie supérieure qui va droit au cœur et touche sa cible tôt ou tard.


On notera également une production puissante avec une rythmique dure et froide très appréciable qui nous hypnotise de façon progressive dès l'ouverture mystérieuse "My cosmos is mine" : c'est lent, industriel, poisseux et inquiétant sans être menaçant, la mélodie ne transparaît pas immédiatement, on sent que le groupe veut prendre son temps pour développer une atmosphère caractéristique qui hantera l'auditeur quoi qu'il en coûte! Cette première piste permet à Dave Gahan de donner dans une verve de "crooner dark" dans laquelle il n'a aucun concurrent réel. "Wagging tongue" résultat de la collaboration entre Gahan et Gore est une très bonne surprise qui prend le relais avec des synthés de nouveau clairs et évoquant parfois les débuts du groupe (la modernité en plus). Le refrain est direct et sans fioritures, le résultat final est enthousiasmant. Finalement, le tube "Ghosts Again" sera un des titres les plus lumineux du disque et un bien beau morceau tour à tour mélancolique et joyeux dans sa mélancolie... Sur un rythme dansant évoquant presque parfois un certain "Enjoy the silence" la mélodie sublime et céleste jouée en arrière est accompagnée d'un riff de guitare simple et envoûtant d'un Gore très inspiré...les chœurs lointains assurés par ce dernier en soutien à Gahan transportent le morceau dans une dimension supérieure touchant aussi bien le cœur que l'âme.


Au menu des réussites notables on constatera que certains titres donnent dans un rock aux sonorités industrielles et avec une atmosphère sonore évoquant parfois une sorte de cold wave revisitée et "modernisée" : " My Favourite Stranger" et "Before We Drown" sont des pièces de choix très bien senties. Certains titres semblent davantage axés autour de l'idée d'une mélodie profonde et obsédante voulant toucher le cœur de l'auditeur tels ce "Soul With Me" (seul titre chanté par Martin : magistral!), "Don't say you love me" soutenu par une batterie puissante et une interprétation habitée de Dave va droit au but tandis que "Always you" sensuel et obsédant à tout pour devenir un prochain single! Ces ballades sensuelles sont entrecoupées de curiosités vraiment intéressantes : "Caroline's Monkey" vaut vraiment le coup d'oreille avec son rythme chaloupé et sa dimension "groovy" tandis que "Speak to Me" conclut le disque sur une note sombre et désespérée qui évoque une ambiance quasiment cinématographique inédite venant de Depeche Mode. Nous sommes au milieu des ruines de ce début de 21ème siècle tumultueux et il ne reste plus qu'à plonger dans les ténèbres instaurés par cette ambiance lugubre et cette voix lointaine de Dave Gahan avant de....reprendre ses esprits, de se dire qu'on a pas écouté un "énième" album de Depeche Mode et avoir envie de se replonger dans cette expérience sonore dès que possible.


"Memento Mori" ne plaira pas à tout le monde...pas du premier coup en tout cas...mais c'est un missile à tête chercheuse qui ne manquera pas sa cible et qui, s'il devait être le dernier album du groupe, serait un testament sombre, crépusculaire et poignant. Les moments "blues" légèrement forcés et parfois (rarement) un peu en trop sur les deux albums précédents sont déjà loin, aucune émotion sur cet album n'est feinte. C'est la belle proposition de deux amis qui survivent à tout et qui survivront à n'importe quelle mort à venir...leur carrière et leur héritage étant d'ores et déjà intemporel...cet album venant enfoncer le clou et nous rappeler à quel point Depeche Mode est un groupe généreux, profond et plein de force vitale...jusqu'au bout.


Edit : J'ai décidé de monter la note à 10 car au plus je le réécoute au moins je lui trouve de défauts...chaque titre pris de manière isolée est une perle... Je suis amoureux de cet album je le confesse... Il vient même de passer devant "Playing the angel" que je considérais comme leur meilleur album "post-Ultra". En fait si on regarde bien leurs albums depuis leur dernier "chef d'œuvre officiel" (Ultra en 97) chaque album comporte une ou deux chansons un peu "moyennes" ou un léger problème de rythme...j'ai beau passer au crible l'album dans le détail et essayer de comprendre certains critiques qui contrairement à moi sont "avisés" et possèdent le recul de l'âge et la maturité (j'écoute DM depuis que j'ai 15 ans et j'en ai le double hein mais bon...) mais je ne parviens pas à trouver cet album "nul" ou "moyen" ou très en dessous de ce qu'ils ont pu faire de mieux... Je n'irai pas jusqu'à le mettre au même niveau qu'un "Violator" ou un "Songs of faith and devotion" car le manque de tubes fédérateurs est évident...mais il n'a pas à rougir sur ce point par rapport aux 5 albums précédents et il fait encore mieux en terme d'intensité, de noirceur, de rythme, de production et de régularité dans la qualité du début à la fin.


Bref, je ne suis qu'un fan parmi d'autres et chacun a le droit de "haïr" cet album ou de vomir sur les gens qui l'ont aimé...mais vraiment y a rien à faire je ne lui trouve pas de vrais défauts...et c'est un spécialiste de DM (je connais chaque chanson de ce groupe par cœur) qui vous le dit. A la limite...il me ferait presque revoir à la baisse les albums précédents depuis "Playing the angel" voilà son seul "défaut".

Venomesque
10
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le 4 avr. 2023

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