Il y a mille bonnes raisons d'aimer passionnément Christophe Miossec... Portant le verbe haut et cru, le Brestois n'a-t-il pas redonné à la chanson d'ici une ferveur depuis longtemps négligée par ses pairs ? Cette façon inimitable de se dire, même au plus bas de soi, au fond du trou, ne fait-t-elle pas déjà école ? Qu'il se trimballe dans le plus simple appareil (Boire, Baiser) ou vêtu des plus élégants costumes (1964, L'Étreinte), cet auteur courtisé s'est toujours livré sans compter. Chastes oreilles s'abstenir, son débit versant parfois dans le bilieux, dans le vraiment douloureux. Telle est la vie, la vraie, ici célébrée avec un allant auquel seul Serge Reggiani mais lui n'a jamais écrit une ligne nous avait habitué, il y a un bail. Alors oui, certainement, pour la première fois de sa carrière Miossec risque de diviser... Obligé de trier ! La découverte des merveilles cachées derrière L'Étreinte est à ce prix. Mais plutôt que de l'éreinter pour ses quelques faux-pas, attardons-nous sur les vraies réussites de ce sixième album. Juste parce qu'il le vaut bien et qu'on ne cherche pas de poux à un type de cette trempe alors qu'il livre là son oeuvre la plus variée. Élaboré pour la seconde (et dernière) fois en tandem avec Jean-Louis Piérot (moitié des Valentins et arrangeur surdoué) et quelques génies notoires tels que Robert Johnson et Stef Kamil Carlens de Zita Swoon, L'Étreinte voit notre expatrié belge reprendre son souffle dans les cordes merveilleux Nicolas Stevens, partenaire d'Imprudence de Bashung sur scène avant de mettre l'autre en face au tapis. L'amour se consomme ainsi, des coups comme s'il en pleuvait (La Grande Marée, LE morceau du disque) et Dieu sait si Miossec en a eu pour son grade. Mais puisque ici le charnel l'emporte toujours et c'est très bien comme ça , saluons cette Julia aux formes délicieusement callipyges, ou cette confession finale à sa chère Maman : "Je ne contrôle plus mes arrières, j'ai succombé à des plaisirs qui devrait un jour te déplaire". Charnel encore, Quand Je Fais La Chose, où l'on se prend à rêver à une association avec le trublion Red, aurait autrement plus d'allure que ces poses discutables à Califourchon. Et si le ton se fait de plus en plus sentimental superbe Maman, les arpèges de La Mélancolie, le piano très Gainsbourg de 30 Ans, composé pour lui par le compagnon de Madame Juliette Gréco , sûr que ça ne s'arrangera pas avec le temps. Gare aux rétroviseurs donc, sauf s'il s'agit de mettre du Clash dans les guitares, et tant mieux pour La Facture D'Électricité, ce tube programmé aux jolis choeurs. Compositeur inspiré de plus de la moitié des titres, Miossec demeure cet être faillible, terriblement humain, que L'Étreinte nous présente sans fard, vulnérable, mais finalement plus attachant que jamais.
Longtemps, Miossec n'a pas chanté, mais vomi : du mauvais sang, de la bile, des mots en vrac, à peine digérés, pas trop mâchés. Chez lui aussi, la musique était un cri qui venait de l'intérieur : braooooooouuuuuuuuuuuuuu. A genoux, devant la cuvette, il y avait urgence à dire, pas le temps de se soucier des élégances, de la musique même. Fascinant sur un premier album, Boire, qui allait ouvrir en grand les portes du placard pour une génération entière de non-chanteurs, ce flot ardent de verbe tartare et d'idées noires allait pourtant assez vite souffrir de la négligence, voire de l'absence, de tout décor.
Miossec continuait certes de dynamiter la grammaire, de désobéir férocement aux us et coutumes de la chanson française : mais le déséquilibre devenait trop flagrant entre l'audace du verbe et l'inconséquence des musiques. Sur son précédent album, 1964, les mélodies se rebiffaient, les arrangements prenaient les armes pour une représentation plus juste : sur des merveilles comme Brest ou Rester en vie, paroles et musiques se condamnaient ainsi mutuellement au surpassement, dans une escalade où la voix peinait mais ne rompait jamais. Peut-être aiguillonné par les audaces de ses propres héritiers ? de Cali à Luke ? et parfaitement épaulé par les oreilles pop, fureteuses et exigeantes de Jean-Louis Pierrot des Valentins ou de quelques sacrés Belges (des évadés de Deus), c'est encore plus haut que Miossec négocie aujourd'hui les accords de paix entre son verbe, sa verve et une certaine idée de la chanson, aussi cajolée que maltraitée. Accords de paix ? Plutôt un travesti d'armistice, où tous les coups tordus, les idées folles et les défis restent d'actualité. Ce qui permet aujourd'hui à Miossec d'aligner un authentique tube pour radio en bonne santé (Mes crimes : le châtiment), de séduire sans se renier, de dialoguer avec le grand public sans mettre d'eau dans son vin (c'est une image), de chanter comme jamais, le verbe titubant mais le timbre étonnamment droit.
Ce soin inédit pour les détails ? pour les autres, peut-être ? lui permet ainsi de signer, entre autres hauts faits, deux de ses chansons les plus terrassantes, La Mélancolie et surtout 30 ans. Là, Miossec reprend, sonné dans les cordes mais flamboyant, ses années d'avance sur la tiède docilité de ses héritiers. Lequel aurait pu oser : "La mélancolie, c'est communiste/Tout le monde y a droit de temps en temps/La mélancolie n'est pas capitaliste/C'est même gratuit pour les perdants" ? (Inrocks)
This record should be played at high volume", cette recommandation devrait être stickée sur la pochette de "L'étreinte" (en très gros, diront les mauvaises langues, afin de cacher ce visuel hideux, oeuvre de Paul Bloas qui se rattrape ma foi fort bien dans le livret). Il éviterait sûrement à de nombreux auditeurs de tomber, comme moi, dans la routine d'une écoute blasée de ce, déjà, sixième album du Brestois.
Deux ans après un magnifique "1964" qui signait son retour en grâce, j'avais baissé la garde. Sûr du talent de la bête, je l'ai laissée m'enlacer. Une chanson pour maman, une pour sa progéniture, habillages de cordes et trompettes mélancoliques, un refrain, "L'amour c'est plus lourd que l'air... c'est comme une sorte de courant d'air", c'en était trop. L'ours mal léché tombé dans le fond du pot de miel, très peu pour moi, désolé. J'attends le menu gastro et l'on me sert la formule express, revoilà l'écriture en roue libre de "Brûle". Au secours !
Mais le fauve avance masqué. Sont-ce les réminiscences des guitares des "Shot by Both Sides" de Magazine et "Making Plan for Nigel" de XTC sur "La mélancolie" qui m'ont mis la puce à l'oreille ? Il y aurait une sous-couche ? Une vieille toile peinte sous le vernis ?
Il est vrai que Christophe Miossec a créé un tel style qu'il semble le parodier, désormais, dès qu'il l'utilise. Or la rage et la crainte habitent aussi bien "Mes crimes : le châtiment" que "Maman", la fragilité de nos vies se retrouve autant dans "Quand je fais la chose" que dans "Bonhomme", "L'imbécile" et "Julia" se chargent toutes deux d'espoirs vains. Personne ne sait écrire le dégoût et l'envie comme lui.
Il reste un album en demi-teinte, mais sincère et proche de l'homme qu'il est, pour qui l'étreinte n'est pas une embrassade, pas même une accolade, plutôt un étau, celui du temps qui passe. "Tu n'auras pas senti l'étreinte de l'irrésistible dégoût" (Baudelaire).(Popnews)
La quarantaine passée (marquée par « 1964 »), Miossec semble plus serein. Finis les concerts baclés, les interviews expédiées, les coups de gueule décalés, le brestois aspire à une carrière paisible et libertine. Carnets de route avec Cali, collaborations et textes pour ses potes de la chanson française (Mass Hysteria, Joseph d'Anvers, Yann Tiersen ), Miossec fait ce qu'il veut et va là où le vent le mène, au gré de ses envies, comme le prouve ce nouvel album. Certes, à ce stade, le défi est aussi gros qu'une corde de guitare, mais Miossec l'a relevé avec autant d'entrain que pour ses précédents opus. Côté textes, rien de nouveau, la mélancolie et les relations amoureuses restent des sources d'inspiration intarissables et « L'étreinte » triture tout cela avec délectation. C'est plutôt sur les mélodies et les arrangements que les chansons diffèrent des précédentes productions. Jamais un album de Miossec n'avait accueilli autant de musiciens et d'orchestrations. Zita Zwoon, Les Valentins, l'éternel Jean-Louis Pierrot laissent ici leurs empreintes, offrant une belle palette de nuances entre le très symphonique L'amour et l'air et le plus simple Quand je fais l'amour (qui n'est pas sans rappeler La fidélité des premières heures). Petit clin d'oeil à la pochette mise en peinture par Paul Bloas (qui a notamment oeuvré pour Noir Désir). Avec « L'étreinte », Miossec ne s'éloigne pas trop de son chemin si finement tracé. Disons qu'il confirme son statut de compositeur/interprète de talent. Un album aussi chaleureux que l'étreinte d'un vieil ami. (indiepoprock)