Eh bien avant toutes choses, Bonne Année !
Là comme ça j'aurais pu embrayer sur une chronique de littérature érotique vu que je ne lis que ça depuis peu (--en fait c'est un peu faux, je viens de commencer La petite femelle de Philippe Jaeanada, gros pavé hein--) étant donné que sentimentalement parlant je suis un peu dans la désabusion et que je me réfugiait il y a encore peu de temps dans les écrits. De beaux écrits propres à élever l'âme et probablement autre chose, je vous venir, tiens.


Mais parmi les nombreux cadeaux de Noël qui ornèrent la cheminée trans-dimensionnelle où le barbu tout en rouge passe une fois par an, il y avait l'intégrale de Nino Ferrer. Et qui de mieux que Nino pour évoquer avec nous ici bas la désabusion ? Désabusion, voilà un mot-valise typiquement génial inventé par ce diable de Nino Ferrer. Désillusions + Désabusé. Ou perte des illusions avec le préfixe Désa comme "Désaccordé". Cela n'existe pas dans la langue française mais l'on comprend parfaitement. Et notez bien que si j'avais eu l'intégrale de Johnny Halliday plutôt que celle de Nino, là, c'est moi qui pour le coup aurait été sacrément désabusionné. Aussi je ne vais pas plus me plaindre car la musique de ce coffret est à la hauteur du personnage : grandiose.


"Et je suis là, comme un con, sous son balcon,
comme disait il y a longtemps Claude Nougaron.
Et je suis là, comme un con sous son balcon,
étendu de tout mon long dans une flaque de bourbon.
Et on est là, comme des cons, sous leurs balcons,
(je n'ai pas beaucoup changé depuis Cro-Magnon).
On est tous là, comme des cons, sous leurs balcons,
empêtres dans les remords et la désabusion."


Désacordé, on pourrait l'employer non pas pour sa musique mais pour sa vie, encore que.
Et c'est vrai que Nino Ferrer n'a pas eu de chance. Une poignée de tubes dans les années 60 et déjà le malentendu s'installe. Il continuera, grandissant, jusqu'à la fin de sa vie et persiste même encore aujourd'hui que le chanteur et musicien est mort. Car si les gens connaissent essentiellement des Mirza, Le téléfon et autres Oh ! Hé ! Hein ! Bon !, c'est pour passer à côté d'une bonne partie de merveilles et de chansons souvent terriblement attachantes, voire poignantes.


Alors oui, Gaston, y'a le téléfon, c'est rigolo oui (pour l'anecdote sous le vernis vous aurez remarqué que la chanson critique ouvertement les fonctionnaires qui n'en branlent pas une. L'allusion au fameux Gaston n'est d'ailleurs pas étonnante en soi, le personnage de BD de Franquin apparaît vers 1957 dans le journal de Spirou sous forme de petits dessins puis de petites bandes avant d'avoir des strips en demi page vers 1959. La chanson elle, date de 1967 si je ne me trompe pas) mais à une époque je n'ai entendu que ça, je n'en pouvais plus alors que la carrière de Nino Ferrer est beaucoup plus riche. Merci les stations de radio pour arriver à nous dégoûter de plein d'artistes qui ne l'ont pas mérités à force de matraquage.


Tiens tenez, album Metronomie (1971). Première piste, Métronomie, part 1. 9 minutes instrumentales avec des changements de tempo différents. Mais ? Mais oui, Nino nous fait du rock prog. Et ma foi, c'est pas dégueu. On laisse des chansons plus "classiques" en seconde face du vinyle pour pas trop effrayer les gens non plus. Et quelles chansons cela dit : les superbes et cultes La maison près de la fontaine ou Pour oublier qu'on s'est aimés. Et puis le court mais chouette Isabelle qui évoque les jeunes filles libérées qui sont apparues peu après mai 68 et qui sont critiquées par les générations plus âgées. Et puis cette pochette qui est un tableau à mi-chemin entre le surréalisme et la peinture flamande par Claude Verlinde, un régal. J'en avais même fait ma photo de profil Facebook dernièrement et c'était d'autant plus chouette, ça rendait bien.


"Chouette", voilà ce qui caractériserait bien Ferrer.
Et avec le groupe "Leggs" qu'il forme avec des musiciens irlandais (dont le super talentueux Micky Finn à la guitare électrique qui sera un compagnon de route jusqu'à la fin d'ailleurs) et qui seront "son" groupe, "ses" musicos sur toutes les années 70, là ça devient plus que chouette, c'est la grande classe. Sur "Nino Ferrer and Leggs" (1973) il y a même un quatuor de violons et violoncelle dirigé par Jean-Claude Vannier. Ouais là ça rigole plus. Et sur un titre de 7mn comme L'Angleterre (oh tiens, ça sent bon le prog là aussi), ça rend bien.


Toujours dans la classe (et merci donc à ce coffret de nous les faire découvrir et redécouvrir), "Nino and Radiah et Le Sud" (1974) ainsi que "Blanat" (1979), probablement ses meilleurs oeuvres. Le premier, entièrement en anglais (sauf "Le sud", chanson culte et osons-le dire, immense chanson dans la chanson française) qui navigue dans des effluves soul et blues remarquables. Le second, ouvertement rock cette fois, là aussi en anglais avec diverses influences (c'est moi ou sur Bloody Flamenco il parodie David Bowie pour donner un ton complètement glam à cette histoire de toreador ???) et encore une chanson en français uniquement à la toute fin (la superbe et enragée L'arbre noir : Matez moi ce solo de guitare électrique furieux de Micky Finn !!!).


Mais voilà, Nino n'a pas que fait de bons albums ou de bonnes chansons. Et comme pour beaucoup d'artistes, les années 80 vont signer sa déchéance et ce coffret en donne un certain aperçu là aussi. Peu de disques après Blanat et surtout des disques pas toujours inspirés ou qui traînent la patte (La carmencita ou Rock'N'Roll Cowboy, c'est assez moyen après tout ce qui a précédé). Le fond est atteint avec "Le 13è album" et sa pochette noire avec sa.... banane ? Oui c'est bien une banane sur fond noir. Bon... CQFD.


Il faut dire aussi que Nino Ferrer n'a plus trop envie de jouer à ce moment là aussi, étant donné qu'on ne lui demande que de jouer les mêmes choses à ce moment là sur les plateaux de télé ou les concerts. Vous vouliez l'amuseur publique ? Vous l'aurez mais faudra pas demander autre chose hein.


Il n'y aura plus que deux disques pour les années 90, deux bons disques par contre.


Et Nino se suicidera un 13 août 1998 dans un champ de blé nous laissant bien désabusionnés cette fois.


"J’étais très amoureux à l’âge de 19 ans et puis elle m’a quitté. Alors j’ai voulu, dans l’ordre, me suicider d’abord, ensuite m’engager pour l’Indochine et troisièmement devenir explorateur. Mes parents m’ont dit qu’ils voulaient bien mais à condition que je fasse des études pour ça et je suis devenu préhistorien. C’était mon métier. Mais je ne pense pas que j’aurais été fait pour ce métier."


Heureusement il nous reste toutes ces belles chansons, tous ces disques.
Merci Nino.

Nio_Lynes
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le 17 janv. 2018

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Nio_Lynes

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