Compliqué de dire ça sans passer pour un fan boy à 2 balles, mais Orelsan est mon artiste français préféré et un de ceux dont je me sens le plus proche, tous genres confondus. C'est un peu comme si parfois il disait à voix haute des choses qui me concernent directement, et auxquelles je n'avais jamais vraiment pris conscience avant. C'est très particulier d'éprouver cette sensation à 25 ans, c'est plutôt le genre de trucs que tu ressens 10 ans plus tôt. C'était la fin des études, la quête d'un boulot stable, le début de la vie en couple, et je n'ai pas honte de dire avec le recul (c'était vers 2012-2013) que j'étais complètement paumé et que ce putain de normand m'a énormément aidé. avec son "Chant des sirènes". Il y a du déchet certes, et je n'adhère pas avec la totalité de ce qu'il dit, mais je comprends pourquoi il le dit. J'apprécie son honnêteté, et le fait qu'il ait une totale conscience de ce qu'il est et de ce qu'il n'est pas, ce qui l'évite de tomber dans les pires travers d'un rap de poseur, énormément basé sur l'apparence (même si il lui est arrivé de flirter avec ce genre parfois).


J'ai toujours eu peur qu'une certaine distance se créée dans mon appréciation de son oeuvre au fur et à mesure de son avancée artistique. C'est quelqu'un qui écrit sur ce qui l'entoure, forcément le fait d'être célèbre risquait de ne le faire écrire que sur ce sujet. C'est un peu ce qu'il s'est passé avec Mike Skinner de The Streets, auquel Orelsan me fait beaucoup penser, et dont j'adore le premier album "Original pirate material" pour les mêmes raisons que "Le chant des sirènes", mais qui m'a un peu gonflé par la suite, l'essentiel de ses lyrics tournant autour du fait que c'est quand même chiant d'être célèbre. Le truc c'est que moi forcément je ne me retrouve pas là dedans car je suis très peu célèbre. Cette crainte a été contournée temporairement lorsque Orelsan s'est concentré sur son projet parallèle des Casseurs Flowters, dont perso j'ai beaucoup aimé les 2 albums et le film (même la série était sympa), mais forcément elle est réapparue à l'annonce de son nouvel album.


Je fais tourner l'album depuis qu'il est sorti. J'avais été un peu interloqué à l'écoute de "Basique", très Casseurflowterien, mais aussi quand même un peu léger à mon goût pour son retour en solo, et ça avait jeté le flou sur ce qui allait sortir derrière, je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre...


En tant que morceau d'intro, "San" se rapproche de "Raelsan" qui ouvrait brillamment "Le chant des sirènes", en ce sens qu'il s'agit d'un morceau sans refrain, assez intense dans sa montée en puissance, et qui consiste quelque part en un espèce de synopsis de ce qui va suivre. En gros dans les 2 cas il parle de son état d'esprit avant d'écrire et de sortir l'album et pose les bases direct de quasiment tous les thèmes qui seront abordés. La différence c'est que là où "Raelsan" a un esprit très vengeur, assez agressif, "San" est habité par beaucoup plus de mélancolie. C'est un cri du coeur plus qu'un coup de boule et on comprend direct qu'on aura pas affaire à un "Le chant des sirènes" bis dans l'esprit, mais que "La fête est finie" constitue bien une photographie de Orelsan à un instant T, le Orelsan 2016-2017, et pas simplement un calque de ce qu'il était auparavant.


Si il me semblait important de faire le point sur ce morceau d'intro, je ne vais pas lister les morceaux un par un. En ce qui concerne l'album en tant qu'entité à part entière, je l'ai trouvé bien plus homogène que ses 2 précédents ou que ceux des CF, dont certains morceaux changeaient du tout au tout et n'avaient pas de lien concret entre eux, comme des petits sketchs alignés les uns à la suite des autres. Ici on a vraiment l'impression que le même état d'esprit et la même ambiance, parcourent le disque, et si cela est en grande partie lié aux instrus de Skread (excellentes comme d'hab), qui est allé chercher des sonorités très électroniques, très brumeuses et planantes même dans les morceaux plus enlevés, je pense que c'est déjà la première preuve d'une forme de maturité pour Orelsan. Le fait de se concentrer et de tirer constamment dans la même direction, sans être répétitif pour autant, montre que l'artiste a perdu un peu de son côté lunatique et versatile, pour proposer quelque chose de plus cohérent. En fait les 2 morceaux à part ("Christophe", très pop / dance floor, et "Zone", le morceau le plus sombre, le plus sale) sont probablement mis à l'écart par le fait qu'il s'agisse des 2 morceaux avec des guests dans les couplets, ce qui les rend forcément moins personnels, plus ouverts.


Pour le reste Orelsan va puiser un peu à droite à gauche, dans son passé avec "Défaite de famille" qui fait revivre l'esprit de "Perdu d'avance" à travers un texte simple, direct et caustique, avec ces descriptions sans concessions et ultra détaillées d'une certaine situation (ici les fêtes de famille) un peu à la manière d'un Renaud. On sent également l'esprit des Casseurs Flowters dans certaines chansons assez rythmées et drôles ("Basique", "Bonne meuf"). Il a également voulu piocher dans ses influences récentes pour diversifier un peu ses morceaux, je pense notamment au Stromaéen "Tout va bien" ou encore à l'ultra électronique et nébuleux "La lumière", qui le font sortir de sa zone de confort avec plutôt pas mal de réussite.


L'album est globalement habité par un esprit très mélancolique. Pas mélancolique en mode "c'était mieux avant", plutôt une mélancolie avec énormément d'optimisme. Orelsan a toujours clamé dans ses morceaux que "avant (l'adolescence) c'était nul à chier et après (l'âge adulte) ça fait peur, donc autant en profiter à fond maintenant", ce qui est une manière de penser ultra pessimiste si on y réfléchit bien. Sur "La fête est finie" c'est différent, le leitmotiv semble plutôt être "putain avant c'était pas si mal en fait" mélangé à "j'aimerais que demain soit bien". C'est cette volonté de croire en demain qui est nouvelle chez Orelsan, et c'est la preuve ultime de la maturité de l'artiste, qui ne renie en aucun moment son passé et ses précédentes chansons, dont il évoque sans détour les travers sans éprouver le moindre regret, sans pour autant chercher à singer les choses qui ont fait son succès comme un gros ringard.


Sans surprise les textes sont ultra persos et continuent d'évoquer les choses qui l'entourent. Le rappeur parle du passage à l'âge adulte, mais du point de vue de quelqu'un qui vient à peine d'y entrer, et non plus comme quelqu'un qui va y entrer ("La fête est finie", "La lumière", "Notes pour trop tard"). Il écrit bien sûr sur la célébrité et ses travers, comme je m'y attendais ("Quand est-ce que ça s'arrête?"), évoque à plusieurs reprises l'amour, d'une manière étonnamment maladroite, mais d'autant plus touchante ("Paradis", "la lumière") et pose deux chansons sur sa ville natale, Caen ("Dans ma ville on traîne", "la pluie"). Ces deux dernières chansons m'ont particulièrement touché car elles arrivent à saisir les sensations uniques qui nous habitent lorsqu'on refoule les rues et les lieux de notre enfance. Orelsan a toujours été assez dur avec la ville normande, et il semble que l'éloignement fasse d'autant plus ressortir l'amour qu'il lui portait sans même s'en rendre compte, et ces deux morceaux sont de très beaux hommages à celle-ci (même si honnêtement ça donne pas trop envie d'y passer ses vacances non plus, il faut pas déconner). Enfin on dénote également une volonté de s'adresser aux plus jeunes, à la manière d'une figure paternelle cherchant à préserver et rassurer un enfant dans "Tout va bien", et à la manière d'un grand frère dans l'époustouflant "Notes pour trop tard". Ce dernier morceau, où Orelsan s'adresse à un jeune ado imaginaire (qui est en fait lui même à l'époque), est très juste et très subtil dans sa manière de donner des conseils à un ado sans être prêchi prêcha ou moralisateur pour autant.


Bon, est-ce que cet album est bon au final? Oui, absolument. Orelsan a su évoluer et jongler entre différents médias sans pour autant se disperser et changer de personnalité. L'album est cohérent, l'écriture est toujours aussi juste et le tout est habité par une certaine mélancolie très bien dosée avec des moments plus légers. Après, les morceaux pris individuellement sont indéniablement moins bons que ceux du "Chant des sirènes", il n'y a pas vraiment de tubes comme "Si seul", "Soirée ratée", "Suicide social" ou même "Bloqué" et "Fais les backs" et je comprends que certains ne soient pas forcément touchés par les points soulevés auparavant et soient déçus par cet album.


Et d'un point de vue perso alors? Je suis évidemment rassuré par le fait qu'Orelsan ne s'épanche pas trop sur ses nouveaux problèmes de néo-célébrité et arrive à rester proche de son auditeur, à l'inverse de l'exemple de Mike Skinner dont j'ai parlé au début de la critique. Bien sûr Orelsan a évolué, et par conséquent j'ai évolué aussi. Je ne suis plus le mec paumé de 25 ans qui avait besoin d'être rassuré, je suis le mec de 30 ans bien plus apaisé par son gamin, par sa femme, et qui arrive à regarder en arrière avec un sourire en coin, puis en avant avec bien plus de confiance et d'espoir qu'auparavant. De ce point de vue bien sûr "La fête est finie" ne m'a pas autant touché à un niveau extrêmement personnel que "Le chant des sirènes", mais d'un autre côté je pense que ce ne sera plus jamais le cas pour aucun album. Apprécier un album c'est une question de timing. Si j'avais découvert Orelsan 2 ans plus tôt ou 2 ans plus tard rien n'aurait été pareil. Aujourd'hui je regarde un peu le rappeur normand à la manière d'un vieux pote qui posterait ses photos de vacances ou de famille sur Facebook. Avec un sourire, avec énormément de souvenirs, en espérant que tout va bien et que tout ira bien pour lui.


Parce que ce n'est pas parce que le temps et la vie nous éloignent et parce qu'on se parle moins qu'avant que la puissance et la force des moments vécus ensemble s'estompera un jour.


A la prochain cousin, et surtout ne change rien...

VinnieJones
10
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le 24 oct. 2017

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VinnieJones

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