Analyse - Critique de La Grande Désillusion par Benjamin Epps


En adepte du style d'Epps, appréciant tout son début de carrière comme ses analyses et son discours en interview, c'est avec toute ma subjectivité que j'écris ces "quelques" éléments. Ce sera ici une reprise des tracks de l'album qui suivent une histoire.


De manière générale, en relation avec le titre d'album et de quelques titres le composant, il y a une opposition entre le vivre et le survivre, la fin de insouciance, d'une "situation qui nous échappe", la perte de l'âme de l'enfance, comme un album de la maturité (je déteste cette expression), menant à une certaine désillusion de ce monde qui est envié enfant. Je reprendrais assez souvent la frustration naissant de l'écart entre les buts et les moyens d'atteindre ces buts ici, et les moyens exposés et utilisés par Epps.

L'album est assez critique envers la politique de l'intérieur, à travers l'usage de la violence légitime, où la politique de la ville laissant certains quartiers renfermés sur eux-mêmes, utilisant des moyens détournés pour s'en échapper.


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Sur la première track au même titre que l'album, Enchantée Julia est de retour sur un album rap pour des backs (après Dinos où elle avait pris une grosse dimension avec sa voix envoûtante), il aurait été intéressant de lui laisser plus de place. La prod est très cool, mais vient déjà se poser dans le style US, très Kendrick Lamar, où je vois déjà un ton blasé se poser dessus. Au final, dans le contenu, cette track met en place le thème de l'album, le survire et le vivre. Epps émet une critique sur son rap et le rap avec : "Trois tentatives, j'me sens toujours pas apprécié" montrant, à raison, un artiste sous-côté. "Impatient de te lire, impatient de voir qu't'es déçu" (x2), je ne sais pas s'il s'attend à des critiques négatives (en relation avec la critique des ses "[...] idées nouvelles, pas des idées reçues"), du moins la mienne sera positive quant à ce projet ! La fin de prod appuyant sur le piano vient donner un ressenti plutôt triste dont on pourrait croire à l'ambiance du projet.


Et capitaine flamme prend place, autre ambiance ! La rime en -o est bien chantée, prenante, où Epps est en pleine adéquation avec la prod, plus rapide dans le tempo sélectionné. Un élément d'enfance (le dessin animé, même si c'est loin d'être exclusif aux enfants) est repris pour se comparer à ce héros lors de ses débuts, choisissant de passer par la plume pour s'en sortir plutôt que les kilos ("Tu peux vendre des kilos, mais peux pas test mon stylo"), montrant son moyen de s'en sortir. Et quoi de mieux que de montrer ce succès avec des "preuves" : "Un B.E.T. winner, le game à la haine, on sait (Eppsito)" ou "J'suis plus avec vous (Hey), moi j'rappe avec Solaar / J'rappe avec S.P. the GOAT, j'traîne avec Madonna" montrant cette réussite à travers un peu d'ego-trip


bienvenue à b'hell-vue, l'associant à l'enfer dans ce titre nous met dans une ambiance froide, négative, avec des décès ou de la prison. On revient à une triste réalité, avec un lancement de prod progressif, allant sur un boom-bap classique. Le premier couplet vient mettre en évidence tout un ensemble de "problèmes" (meurtre, police, drogue, alcool, maladie, "disparitions et pédophilie", polygamie, argent, revanche avec le plow, plow, plow référence à Lamar, politiciens véreux et menteurs et la "révolution tous les sept ans pour mes kings", devant toujours de nouveau se battre pour accéder à des droits équivalents). Au final, impossible de se détacher de tout ça dans le refrain et le pré-refrain, où je me déleste de tout commentaire tellement c'est parlant : "Tout est perdu, pour mes gens, pour mes kings / L'environnement est hostile, pour mes kings / Tout l'monde ne verra pas la lumière, king / On est piégé dans c'trou / Ici, c'est Bellevue, la fin, le terminal / Ça commence bien, ça finit mal / Si on fait du mal, faut nous pardonner / On a pas l'choix man, on va charbonner non-stop". Une phase est intéressante sur l'esprit de revanche qui ne permet pas de s'en sortir et de s'élever comme un. Un très court passage sur les "success stories" a lieu, avec une certaine forme de mépris venant de plus haut. La fin de titre est particulièrement pertinente avec les politiques ciblés comme responsables de ce manque de perspective, de la volonté de s'en sortir (buts) avec "Tout l'monde veut son heure de gloire, tout l'monde veut l'ascension" mais avec des moyens limités pour y accéder, le tout avec le mépris de la classe politique, envoyant seulement des forces de l'ordre dans les quartiers où, par imitation "Les grands font le crime, donc les gosses le font aussi". La dernière phase crée le jeu de mot (l'attention / la tension) amenant au prochain titre. Au final, j'ai suivi le conseil donné par Epps : "assieds toi et prends des notes". On est donc clairement sur les causes de ce survivre et de cette désillusion, pouvant mener à la frustration et au "chaos".


Je trouve que sur la tension, Epps est un peu moins en phase avec la prod, mais les instruments à vent donnent de la dimension à la prod. Epps apporte une critique au rap et d'autres où pour avoir l'attention, il faut créer la tension. Que ce soit à travers les commentaires, la mère de Rabiot, le Panamera, le twerk, l'argent, habits, adouber de plus petits rappeurs, etc., Epps émet sa critique sur ces univers. Et pour lui, "Un B.E.T sans un moment de radio", l'attention n'a pas été suffisante..


Le début de l'instru de vivre me fait penser à autre chose, si quelqu'un sait ! Un beau storytelling ressort du couplet 2, un exercice à réitérer, parce que c'est maîtrisé et si plaisant (merci Hugo TSR, Laylow et Wit, etc.) avec un passage prenant "Quand j'ai annoncé la nouvelle à son vieux / Il m'a pris dans ses bras, il a pleuré et m'a demandé de vivre". On se retrouve dans le même élément avec le refrain qui décrit parfaitement la situation : "Une seule vie et beaucoup de questions, une seule chance / Oui on n'a qu'une seule chance trop de stress", objectif de vivre, mais qu'une seule chance pour accéder à ce confort, mais générant un stress, potentiellement signe de non-réussite à la fin. Ce stress pour vivre peut être évité en allant vers la facilité, sinon le message passé est le stress lié au risque pris dans le trafic avec la potentielle mort qu'il souhaite tant éviter en s'exprimant à sa mère (couplet 3). Magnifique outro piano. Un morceau qui s'écoute, qui porte à davantage de réflexion. Et comme dirait Médine : "Quand je suis heureux, j'écoute la musique, quand je suis malheureux, je comprends les paroles", el son peut rendre malheureux, donc on comprend les paroles.


Après le son déplorant la mort et le stress de louper sa chance pour s'en sortir, on va vers le feat plus gang, avec Styles P (USA) sur un beau sample de Marsbéli Krónikák (son Solaris de 1984), passant aisément sur un style rock, montrant l'étendue du répertoire d'Epps. A voir en concert avec une gros guitare électrique ça ! Je suis rarement séduit par les feats FR/US, mais là ça passe bien ! Le refrain est cool avec le chant de "L'ennemi ne dit mot". On retrouve un aspect vie/mort avec le passage "Tout c'qu'il m'manque mec, c'est le temps" dans le refrain. Epps ne sort pas son meilleur couplet à mon sens, allant dans l'ego-trip avec quelques punchs qui me font rire : "Rocco, c'est dans le lit qu'le crime va s'faire" et cette vérité potentielle : "Les vrais gangsters ne rappent pas, les rappeurs connaissent pas la street". Epps montre son intégration au gang et la potentielle utilisation d'armes à feu (Heenok et le Z derrière tout ça ?!).


Et, suite à son intégration au gang, police à ma porte ! Le début, les refs se multiplient au rap US (Ice-T - 6 in the morning). Une excellente prod, le single publié en avance à raison. Cette phase m'a particulièrement marqué en début de couplet 2 "J'suis pas ton noir de service, j'suis pas la diversité, bitch / J'suis pas ta caution morale, pas ton mec de cité, bitch / Pas le mec qui rappe gentiment quand tu veux feater, bitch". La fin de la prod fait très film. Des refs diverses aux dessins animés (Disney avec Cendrillon avec une belle punch, Bambi et le retour des armes, montrant un aspect ego-trip, Capitaine Flam de retour pour l'utiliser en punchline). Un son qui marque !


Comme sur bienvenue à b'hell-vue, le début est très négatif, une "situation [qui] nous échappe", les décès, les arrêts pour qu'au final la désillusion soit la réalité (fin d'intro). Epps va à l'opposé de l'ego-trip en montrant sa situation : "Fuck le succès, fuck ton interview, ma vie n'a rien de jouissive" et "Mon fils n'a toujours pas le confort donc toute cette gloire me frustre / J'ne suis pas un noir intelligent, j'suis juste un noir de plus". Il est assez lambda, sans toute la mise en évidence fait dans d'autres sons, sans éléments permettant de créer la tension/l'attention. Peut-être qu'il ne veut pas de la fame (vive l'amour) pour atteindre cet objectif : "J'dois conserver mon intimité, c'est une question de dignité". La prod est bonne sur les deux parties, adaptée à chaque timbre de voix et pour la manière de poser. Mc Solaar revient fort avec deux phases qui m'ont marqué : "Le fond plus la forme, la forme seule déforme le fond" et "Je me rappelle à l'époque de la liberté chacun de nous était un être unique / Désormais c'est le temps de la conformité, calibré pour faire de la musique" montrant sa critique de la nouvelle scène rap à travers cet excès de conformité (but et moyens réunis) représentée par la forme des projets et plus tant par l'originalité ou le fond. Enfin, dans une critique plus générale sur les masques portés par la population, Epps écrit : "Tout l'monde semble heureux sur le net, le métro dit le contraire" à reprendre de Stromae et le son Carmen, où les situations individuelles rendent les "gens fatigués, lessivés pour une life qu'ils ne conquièrent". Dans ce son, on est dans la conséquence, la réalité d'une vie normale, sans excès, sans fame.


Au final, Epps accepte cette condition dans mes rois dorment, à travers plusieurs phases : "Laisse les miens me guider, dans la misère y a un charme" et "La mort est la seule certitude, fatal est le destin / J'ai préféré la misère à la servitude". Dans ces cas, il accepte son destin de mort car c'est une fatalité, mais il veut vivre libre, non asservi, acceptant dans ce cas la misère, qui est si belle (PNL merci pour ce classique). J'aime un peu moins le refrain sur ce son, permettant de comprendre qu'il ne faut pas se laisser bercer, dormir, mais qu'il faut batailler (mouliner) pour survivre, sinon l'on se retrouve menacé


Une prod très classique, boom bap avec instruments. Reprise d'une phase de Vous n'êtes pas contents ? C'est pareil. Pour Epps, pour survivre, s'en sortir, il faut vivre avec la pression. Cette pression incessante est tenace pour atteindre trois objectifs : argent, pouvoir, respect, rejoignant ici aussi de la sociologie wéberienne avec un aspect économique, politique et social (relié au prestige). Une belle analogie est réalisée avec Mars, Venus et Brennus, le premier montrant qu'il faut passer par le combat (dieu de la guerre en mythologie romaine), trouver sa Vénus (déesse romaine de l'amour, séduction et de la beauté) par la pression des cercles proches, et atteindre la récompense comme le bouclier de Brennus (en Top 14). Epps glorifie donc l'argent : "L'argent fait pas le bonheur" dit le dicton (Ah) / Mon bonheur dépend de la couleur de mes biftons", mais malgré l'argent, il ne se libère pas de la pression : "Quand t'as de l'argent, t'as des ennemis / Quand t'as des ennemis, t'as la pression". Au final, il vit avec "On se lève avec la pression, on se couche avec elle". Pas forcément mon titre préféré dans l'album.


Le début me fait penser à la fin de Duckworth (3'45 - DAMN par K. Lamar) montrant une boucle dans son album. Ici, le début est encore très négatif dans l'intro "situation nous échappe" (encore), "habitat est associé à c'qui est négatif", la désillusion est une réalité (encore), chaos/anomie montré.e comme un "capharnaüm", mais il y a des moyens de s'en sortir en se créant des opportunités/y croire/rester solide. Un aspect positif en ressort ici, des solutions face à cette réalité si dure. Josman est toujours aussi convaincant, peut-être pas totalement dans le mood de l'album dans les lyrics sauf s'il montre sa réussite à travers les contrats passés avec des maisons de disques et l'accès à une certaine aisance finanicère (après des années de galère). Excellent pont et refrain de Josman en accord avec Epps. Epps montre ses choix (laver le sol plutôt que les armes, le fait d'avoir charbonné, etc.) dans l'objectif d'accéder à ses buts par des moyens légaux, sans servitude et qui sont en relation avec ses valeurs "Désolé j'ai choisi mes rêves, j'ai pas voulu baisser la tête, moi j'ai choisi mes règles". Encore une très bonne outro piano.

(Je veux connaître la ref de ce passage : "Assis sur les chiottes, j'mets la musique à fond pour qu'ma bitch n'entende pas le bruit d'la merde qui tombe")


Enfin, la dernière track montre le présent d'Epps avec une douceur d'instru, avec une belle voix apportée par Angélique Kidjo, montrant une véritable note positive de l'album, à travers les lyrics ou la prod à l'ambiance africaine. Epps s'accepte pleinement avec "Tout le monde a sa part d'ombre, huh / Personne n'est jamais clean, huh" et "Le bref sentiment d'être délivré" où sa famille est au centre de son délivrement "J'trouve le réconfort, dans la chair de ma chair / Dans les yeux d'un gosse, le monde paraît si beau". Cette musique me fait grandement penser au message transmis par Damson dans QALF avec diverses références ce qui lui tient à cœur, est la prunelle de ses yeux : son fils. Epps est dans le même esprit, ce qui lui permet de vivre est au final son enfant, qui est une réalité. Epps "[...] est prêt à renverser le globe".


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Au final, malgré une ambiance négative, lugubre, défaitiste dans les lyrics, l'ensemble reste très accessible, toujours porteur d'espoir malgré la misère, les moyens utilisés pour atteindre ses buts. Epps s'exerce sur divers styles, l'ensemble en étant convaincant. La DA des prods et du thème sont pleinement réfléchis, ou un storytelling global s'impose, reprenant le mood - l'enfance - les causes - (une critique rap) - les chances de vivre - l'intégration gang - la rencontre avec la police - les conséquences et la simple réalité - l'acceptation de sa condition - la pression pour atteindre ses buts - la dur réalité et les choix réalisés - le liberté, la survie et la raison de vivre. C'est un projet prenant, se réécoutant aisément, avec des sons piliers pour le sens du projet (bienvenue à b'hell-vue, vivre, la pression, dans nos murs). Les feats sont bien intégrés, j'aurais apprécié voir d'autres affiches habituées du boom-bap à l'image de membres du TSR Crew.

Ghoul_V
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le 21 avr. 2023

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