Pierre angulaire du black avant-garde, La Masquerade Infernale est comme tout ce qui a été fait dans ce style, difficile d'accès. Juger cette œuvre d'un œil objectif présente un écueil majeur: il faudra distinguer le choix artistique courageux et peut-être ardu à saisir du vrai mauvais choix musical. La frontière entre supercherie et avant-garde est parfois ténue, mais surtout elle a une nette tendance à se déplacer au fil des années, et selon les périodes. Certains des plus grands peintres ont parfois été en leur temps considérés comme des charlatans, je ne vous apprend rien, et les vrais charlatans de l'époque ont disparu dans les limbes de la mémoire collective donc la comparaison est quasi-impossible à faire.

Avant de produire deux opus bien plus écoutables et identifiables, et après un premier effort black-doom, Arcturus se sépare de Garm pour enregistrer La Masquerade Infernale, sorte d'hommage gothique à une ambiance satanique et grotesque, au sens artistique du terme bien entendu. Sur cet album bien bordélique, le groupe s'accompagne d'une pléiade d'invités plus ou moins actifs, et notamment Sa Majesté ICS Vortex en personne, qui à l'époque est complètement inconnu.

Difficile de définir une trajectoire musicale autour de cet album, tant les ambiances diffèrent: black-opera psyché sur Alone et Master Of Disguise, black-doom sur Ad Astra et Painting My Horror, black-burlesque et théâtral sur The Chaos Path. Arcturus trouve un malin plaisir à déjouer les pronostics en multipliant les changements mélodiques comme sur Of Nails And Sinners par exemple, le chef d’œuvre de l'album.

L'atmosphère satanique du son est superbement illustrée par les claviers démentiels de Steinar Johnsen, souvent mis en avant par rapport aux guitares. Bien sûr, le chant assuré par Vortex et Wolf y ajoute cet aspect occulte et sale qui a fait son succès, et qui explique partiellement le culte qui l'entoure. Vous l'aurez senti, j'ai du mal à m'emballer pour ce très bon album de black-doom-psychédélique, comprenant en son sein d'excellents passages mélodiques mais aussi beaucoup de longueurs. Confondant parfois laideur sublimée et saleté mal réalisée, développements mystiques et remplissage lourd, cet assemblage de pièces diverses et inégales présente trop de défauts rédhibitoires pour être qualifié de génie, même si certains moments valent vraiment le détour.

Au final, on n'aura pas su répondre à la délicate question de l'avant-gardisme: honnêtement, il me semble qu'Arcturus ne nous aura pas permis de nous la poser. En effet, j'ai beau écouter cet album en long et en large je n'y vois rien de particulièrement original, rien de vraiment choquant ou exceptionnel. Est-ce à dire que le black-metal est une musique tellement balisée et monotone que dès qu'un groupe sort un peu des sentiers battus il se voit qualifié d'avant-gardiste? C'est une possibilité, qui nécessiterait un autre débat, en un autre lieu. Si on devait comparer cet opus à certains travaux d'Ulver, par exemple, on constaterait qu'Arcturus, même s'il s'éloigne un peu des poncifs du genre, est loin de mériter ce blason d' "expérimental". Le plus triste dans tout cela, c'est que cette image d'album légendaire le dessert sans doute. Dans mon cas par exemple, j'en avais énormément entendu parler et à la première écoute j'ai été franchement déçu. J'ai été obligé d'oublier tout ce qu'on m'avait dit pour me concentrer sur le son et les ambiances et là seulement j'ai pu l'apprécier pour ce qu'il est vraiment, un excellent travail de black burlesque aux atmosphères satanistes et occultes.

Il faut l'avoir écouté au moins une fois dans sa vie, mais je ne considérerais pas pour autant La Masquerade Infernale comme un album culte et incontournable.
Silvergm
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le 17 juil. 2014

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