1996/ Le paradis est trouble et l'enfer est malade
Quand on ouvre le livret du CD, on peut lire cette citation de Léo Ferré :
"Le bonheur ça n'est pas grand chose... c'est du chagrin qui se repose"
Cette phrase (magnifique) résume à elle seule l'ensemble de cet album blanc, plus léger qu'à l'accoutumé. Comme une pause dans la dépression, un sursis. Non pas que l'album soit d'un optimisme débordant "Critique du chapitre 3" et "Des adieux" sont là pour nous rappeler son éternel sentiment d'aversion envers l'humanité.
"Pour un temps d'amour
Tant de haine, en retour"
Mais globalement, on a le sentiment que le chanteur essaie d'offrir un aspect positif à ses chansons. L'amusante "24 heures dans la nuit d'un faune" en est selon moi un parfait exemple, on va s'amuser de la mort et se moquer d'elle, histoire de mélanger drame et loufoquerie :
"Puis j'ai ouvert ma première bière en me demandant
Si les morts s'amusaient autant que les vivants"
Mais l'une des chansons les plus marquante et qui donne une représentation assez significative de l'esprit de l'album c'est "La nostalgie de Dieu". Thiéfaine théorise que si Dieu a créé l'homme à son image, il est un australopithèque, puisqu'il s'agirait des premiers hommes. Théorie simple et discutable, mais drôlement amusante pour peu qu'on soit un peu anti-clérical.
"Dieu est un drôle de mec
Un australopithèque
Oui mais on l'aime quand même"
L'artiste va également s'amuser avec nous dans "Mojo-dépanneur TV (1948-2023)", pamphlet contre les médias qui monopolisent notre façon de penser à tel point qu'on ne peut plus se passer d'eux.
"Ce sont de nouvelles reines de Saba
Impudiques et salaces les médias"
On navigue ensuite sur des thématiques qui n'en sont pas réellement dans un univers déjanté qui correspond parfaitement à l'auteur sans être pour autant des oeuvres transcendantes. On retrouve "Orphée Nonante Huit" "Copyright apéro mundi" ou "Psychopompes/métempsychose et sportswear".
Pour moi, les deux véritables perles de l'album sont "Tita Dong Dong Song", dédiée à son fils Lucas et "Sentiments numériques revisités" dédiée à sa femme. Cette dernière est à mes yeux une des plus belle chanson d'amour jamais écrite. Longue, belle, envoûtante, mêlant nostalgie et passion à la puissance des mots. Nous avouant qu'il n'aura jamais "de mots assez dur pour te dire que je t'aime", il nous raconte une balade romantique, magique, irréelle mais tellement féerique.
"Quand les cris de l'amour croisent les crocs de la haine
Dans l'encyclopédie des clameurs souterraines
Quand je rentre amoché/fatigué/dézingué
En rêvant de mourir sur ton ventre mouillé"
C'est donc un album de bonne facture que nous livre Thiéfaine en 1996, la surprise viendra plus tard avec son alter ego, petit coup de génie dans cette histoire à suivre...