En 1991, Jason Pierce est un homme libéré. Car détaché de son ancien collègue, Peter Kember, avec qui il formait Spacemen 3. Mais surtout libre de faire ce qu’il a envie. Sa précédente expérience avec son ex-frère de son lui a servi de leçon : le nouveau groupe qu’il intégrera sera le sien. Donc le prochain qui rouspète sur le fait qu’il a placé sa copine aux claviers, il pourra le virer sans remords.
A cette époque, Jason est pourtant noyé dans les substances hallucinogènes. Malgré cela, il a senti le vent tourner. Lazer Guided Melodies a beau sortir en 1992, sa conception est plus ancienne. Elle commence même avant la séparation des Hommes de L’espace et ça lui permet de prendre de court Peter qui fît paraitre un album de son côté quelques mois plus tard.
La face qu’il a concoctée sur leur ultime opus était un point de départ sur ses envies célestes et léthargiques. Musicalement, son projet Spiritualized en sera alors la continuité.
En prime, ce disque tombe à pic. La scène anglaise étant en pleine transition. Le shoegaze est mal aimé malgré un accouchement de nombreuses œuvres de qualité. La vague baggy bat son plein et la hype britpop se devine à l’horizon par les esprits les plus clairvoyants. Pierce est peut-être un des inspirateurs d’un mouvement impopulaire, cela ne va pas l’empêcher de surfer sur la vague. Toutefois, sans jamais se départir de cette identité spatiale et psychédélique qui faisait tout le sel de sa dernière formation.
A une différence près, l’esprit n’est pas toujours à l’expérimentation brute. La musique est apaisée (« You Know It's True »), planante (« Symphony Space »), rarement bruyante (la renversante outro de « Shine a Light »). Le cortège d’instruments (à vents, cordes, tympanon…) démontre également que les moyens de Jason Pierce ne sont plus les mêmes. Ce qui se laissait prédire sur Recurring commence enfin à prendre forme. Chaque morceau a l’ambition d’être une mini-symphonie. En l’honneur de Dieu ? Contrairement à ce qu’a pu écrire le critique Simon Reynolds, ce n’est pas si évident.
Il est vrai que certains morceaux au potentiel mélodique important tel « I Want You » nous font prendre de la hauteur au point de frôler le portail du paradis. Cependant, la variété des registres abordés par le leader camé laisse penser que cette recherche de spiritualité n’est qu’une composante parmi d’autres dans sa musique. La lenteur de la dream pop (« Take Your Time ») côtoie les mantras psychédéliques, les envolées bruitistes (« Angel Sigh »), le minimalisme du krautrock (la basse entêtante de « If I Were With Her Now ») et des mélodies 60s dans l’esprit (la britpop n’est décidément plus très loin). D’ailleurs, le cerveau de la bande démontre, une nouvelle fois, son talent à rendre méconnaissable des reprises pour les transcender (« Run » qui a été piqué au Velvet Underground).
Ainsi, l’album est d’une rare cohérence. A un tel niveau qu’il pourrait s’agir d’une seule piste d’une heure. L’édition vinyle joue justement sur cet aspect en divisant les quatre faces visuellement (rouge, verte, bleue et noire) afin de faire de l’objet une seule et même pièce.
La dimension mystique et gospel qu’on retrouve dans les œuvres suivantes du groupe est encore timide sur ce premier jet. Pour le moment, Lazer Guided Melodies est principalement une retranscription sonore des paradis artificiels. Avec ses montées de trip (« Run »), ses descentes (ce « Symphony Space » tout de même trop long), voire un peu des deux (« Step Into the Breeze »).
C’est précisément pour cette raison que Spiritualized met en plein dans le mille dès le départ. Après avoir réactualisé et régénéré le space rock, puis avoir aidé à la création d’un style novateur comme le shoegazing, cette formation s’autorise à le faire évoluer afin d’échapper aux quolibets des critiques et apporte une dimension symphonique à un genre que l’on croyait éteint dans les années 1970.
Jason Pierce était non seulement libre, mais fort aussi. Très fort.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.