Il y a quelques années, un fan a créé un site sur Thomas Fersen : il y a inclus une amusante rubrique intitulée « la ménagerie » où se trouvent listés, album après album, tous les animaux qui peuplent irrémédiablement les chansons du gros Thomas. Car c’est plus fort que lui. Il a bien essayé de tuer le cochon en orientant vers la bouffe sa « Pièce montée des grands jours » en 2003 (et en posant en pochette avec la tête du porc – mort, a priori - sur les genoux), mais non. Tel un Jean de La Fontaine des temps modernes (la morale moralisatrice en moins), Thomas Fersen n’arrive pas à se séparer du bestiaire qui lui colle à la peau et se renouvelle au fil des chansons. Il paraît que ça l’agace. Pas nous. Et au Pavillon (de chasse) des fous, on a capturé oiseau, caille, chienne, chat, papillons, iguanodon, insectes, calamar, serpent, python, dragon, chatte, crabe, chien, gale, ch’val, vautours, souris, chèvre, poulet, mouches, huître et scarabée. Une belle collection, encore ! (et me dis pas merci surtout, le tenancier du site…j’ai fait ton boulot !)
Mais l’animal dont il est question derrière tout ça, c’est le plus bizarre de tous. Le plus dangereux, le plus attendrissant, le plus imprévisible. L’homme. L’homme et sa folie, avérée, médicale, présente, passée, à venir : tous les hommes vivent dans l’angoisse de cette folie qui leur pend au nez. Tous, sauf les rêveurs et les poètes qui savent la faire fructifier pour la montrer au monde sous son meilleur jour. Trenet, le fou chantant, a désigné Higelin pour héritier. Preuve qu’il ne connaissait pas Fersen. La façon incomparable qu’il a de faire sonner les mots - même les plus incongrus – entre eux. La façon totalement débridée qu’il a d’aborder les thèmes et d’y introduire de tout petits ingrédients qui touchent juste, précis, dans le mille. Et toujours avec un air de pas y toucher, un sens de la nuance, une malice et une intelligence …
Ah, Thomas Fersen, quel beau porte-parole pour les fous de tous poils !
Dans un climat musical plus brut (guitare-basse-batterie-harmonica-orgue), loin des splendides enluminures Racaille des albums « Le jour du poisson » et « 4 », Thomas Fersen se montre plus sombre qu’à l’habitude. Car si la folie est parfois drôle, parfois belle, elle est aussi cruelle, angoissante et souvent fatale. La galerie en onze tableaux qui défile sous nos oreilles est édifiante : géant baveux, pervers, simplet, contemplatif, niais, sadique, illuminé, aliénée…tous ces hommes et ces femmes ont le tournis, perdent pied, s’étalent, se relèvent, lamentables et touchants à la fois. Thomas Fersen nous les présente de façon magistrale, expert dans l’art de suggérer sans se moquer jamais. Un disque moins brillant que ceux cités plus haut mais peut être encore plus personnel.