leaving meaning.
7.3
leaving meaning.

Album de Swans (2019)

Nous les avions laissés en 2017, après une longue tournée signant la fin d’un monde : celui du groupe sous la configuration qui lui donnait vie depuis son retour en 2010, qui marquait alors la fin d’un hiatus de plus de dix ans. Bâti autour de la figure de Michael Gira, emblématique leader au caractère aussi fort que touchant, la carrière des cygnes New-Yorkais ne fût pas un long fleuve tranquille : né en pleins dans la vague post-punk et no wave, Swans s’affranchit d’un quelconque étiquette en alternant divers musiciens et influences, en plus de se construire une sulfureuse réputation sur scène tant le groupe ne semble en faire qu’à sa tête. Après tout, Michael Gira n’a jamais caché l’origine du nom de groupe : « Les cygnes sont des créatures majestueuses et magnifiques. Avec un tempérament de merde ».


Depuis leur retour, rien n’est plus pareil : ils tendent désormais vers des formats long, parfois hors-norme mais toujours captivants, et les quatre albums qu’ils ont livrés cette décennie (My Father Will Guide Me Up a Rope To The Sky, The Seer, To Be Kind, The Glowing Man, espacé chacun d’une période de deux ans où le groupe tournera sans relâche) sont des pépites comme l’on n’en voit bien trop peu. Et ce n’est pas ce nouveau chapitre qui va changer la donne.



Nouveaux membres, monde ancien



Afin de donner un nouveau souffle à sa formation (ou de laisser aux anciens membres le temps de le reprendre), Michael Gira a donc décidé de remanier un peu la composition de son groupe, et ce dès l’enregistrement.


Ainsi, le premier invité de marque, dans cette nouvelle formation, c’est l’électronicien Ben Frost. Prodigieux ingénieur du son et compositeur, celui qui accède depuis peu à une plus grande renommée grâce à son travail sur la bande-originale de la série Dark représente depuis le début des années 2000 une vision de la musique électronique exigeante, influencée par les musiques extrêmes et les expérimentations acoustiques. Les sœurs Von Hausswolf prêtent elles leurs voix sur trois titres phares du disque, à savoir Amnesia, Sunfucker et It’s Coming It’s Real. La cadette, Anna, s’était déjà illustrée en tant que première partie sur plusieurs dates du groupe, avec son projet art pop remarqué mobilisant orgue et guitare . Sa sœur aînée, Maria, s’est quand à elle illustrée jusqu’ici plutôt à travers la vidéo et la photographie, même si elle n’en est pas à sa première expérience de chant. Le trio de jazz expérimental Australien The Necks pose quand à lui ses instruments et orchestrations d’avant-garde sur les titre Leaving Meaning et The Nub. Ce dernier titre est d’ailleurs marqué par la participation d’un artiste que l’on avait déjà aperçu lui aussi lors de sa précédente tournée, puisqu’il ouvrait pour certains concerts : le performeur Baby Dee, auteur de folk song débridées et incarnées, sorte de savant mélange entre Tom Waits et Yvette Horner (pour les cheveux et l’accordéon, la comparaison s’arrête là).


Mais que l’on se rassure, tout n’est pas neuf dans ce Swans nouvelle génération, y compris sur scène. Ainsi, les fidèles Kristof Hahn (guitare / lapsteel guitare), Christopher Pravdica (basse) et Phil Puleo (batterie) reprendront du service tandis que Dana Schechter (a.k.a. Insect Ark, que l’on a vu aussi aux côtés de Michael Gira dans Angels of Light) et Ben Frost s’ajoutent à cette photo de famille déjà légendaire. Un groupe qui fait peau neuve mais dont la musique reste, heureusement, fidèle aux obsessions de toujours.



Voyage au bout du son



De Finally, Peace, qui clôturait magistralement et sobrement The Glowing Man, dernier album en date en forme d’épopée sonique avoisinant les deux heures, les Swans font leur retour cette fois-ci par l’entrée des artistes, avec Hums et ses deux minutes chrono. Ouverture déconcertante et entièrement instrumentale, avec un son et une structure qui semble tourner depuis déjà quelque temps, comme si son enregistrement avait démarré trop tard, ou que les musiciens ne s’étaient, au final, jamais arrêtés, n’attendant pas leur public ou l’opportunité de publier un disque pour poursuivre leurs explorations sonores.


Annaline voit Michael Gira chanter une mélodie aux faux airs de chants traditionnels, parsemés d’accents folkloriques, derrière un habillage sonore apaisé, étrangement voisine du Ghosteen de Nick Cave & The Bad Seeds sorti le même mois. Une entrée en matière toute en douceur, qui ne ressemble pas aux habitudes plus brutales et radicales des Swans, ne faisant pas dans la demi-mesure. Ceux qui livrent des performances au-dessus des volumes sonores autorisés (on plaint ceux, beaucoup trop nombreux, qui osent encore s’aventurer à leurs concerts sans protections auditives) passerait presque pour un groupe un peu timide, loin de ses frasques emblématiques. Pourtant, les thématiques existentialistes sont toujours là ( “My impossible friend / How is it true / That we even exist ?”) et les premiers mots (“Right here and right now“) sont la traduction même de ce qu’est un morceau des Swans en temps normal, sans répits ni caresses. Bel oxymore donc.


Mais dès le troisième titre, The Hanging Man, son spectre plus habituel se déploie : rythmique malade, guitares étouffés, incantations et volutes psalmodiques. Si nous ne sommes pas très loin de Screen Shot, anxiogène ouverture du mastodonte To Be Kind, force est de constater que ce minimalisme bâti autour d’un ostinato à la basse et son rythme on ne peut plus cyclique est toujours aussi efficace. Puis voilà qu’au bout de cinq minutes une ligne droite se trace à travers le son, reliant des voies sacrées à travers cette temporalité statique, immuable, menaçante mais jamais véritablement offensive, comme un chemin dans la conscience de ce son reconnaissable entre mille et que l’on aime tant, dessinant dans sa dernière minute des arcs électroniques édifiants.


Quelques arpèges à la guitare acoustique viennent contrebalancer cette première virée en enfer. Amnesia, relecture du titre éponyme sur le disque Love of Life, muté ici en simple ballade folk ? Pas tout à fait : il s’agit plus, une fois le moment du refrain venu, d’une exercice de distorsion du temps, sous la forme d’une glitch où l’univers semble s’étendre à l’infini, où tout est noyé, englouti, dans un tendre vortex. Les méandres de la mémoire, de la perception sans aucun doute, une absence qui passe pour un pur moment d’éveil en plein songe.


Sur la même lancée, la chanson-titre Leaving Meaning, sorte de long poème méditatif bercé par des notes obstinés au piano et des cloches, semble elle aussi tirée de paisibles rêveries et de mondes infinis.


Puis vient le cœur du disque : l’insoupçonnable et terrifiant Sunfucker. Un morceau qui, une fois achevé, s’impose non seulement comme le temps fort du disque, mais se hisse surtout comme un sommet à part entière de la discographie complète des Swans. Ces voix incandescentes, ces mélodies mystiques et surtout ce revirement rythmique au deux tiers du morceau confère au chamanisme et aux plus psychédéliques des trips naturels, façon mescaline ou ayahuasca. Une transe unique, un morceau monumental.


Cathedrals of Heaven sonne lui comme le reflet d*’Amnesia*, avec sa lancinante ritournelle acoustique et son refrain en forme de flux sonore distendu, porté cette fois-ci par un orgue quasi liturgique.


Débutant comme un vieux standard de jazz qu’il resterait à composer, crépusculaire, improvisé au fond d’une cave humide, The Nub est introduit par trois superbes minutes qui ne passe cette fois-ci ni par le drone, ni par un mur de son, mais via une progression sinueuse, latente, en attente de cristallisation. Un peu à la manière dont Thor, ex-percussionniste de la formation, entamait les concerts sur la tournée To Be Kind, apprivoisant peu à peu son kit de percussions et ses multiples éléments avant de se jeter corps et âmes au cœur du son. Lamentations et thèmes lugubres sont au programme de la suite de ce titre plombant et halluciné, aux cuivres brumeux et saisissants.


Arrive alors It’s Coming It’s Real, premier extrait du disque publié en ligne à la fin de l’été. Porté par des chœurs chatoyants et lumineux, ce titre aux influences néo-gospel donne envie de murmurer ces quatre notes comme un mantra qui protège et donne espoir. Non loin des visions spirituelles de Spiritualized, sous ses faux airs de messe moderne, le titre relève, avec le temps, plus de la catharsis que de la louange, pour atteindre des proportions insoupçonnées.


Élan un peu destroy, comme une force qui avance et nous emporte tant bien que mal sur son passage, nous transformant instantanément en pantins désarticulés, le groove malade de Some New Thing a de quoi rendre fou tant il appelle à une danse frénétique, irraisonnée. Étrangement absente de la version vinyle, elle créée par conséquent, selon le support d’écoute choisi, une autre logique, une autre cohérence, un autre sens à l’ensemble.


Plus à part dans la mythologie Swans, What is This? semble être la bonne question à se poser dans le dernier segment du disque. A mi-chemin entre Bowie et Arcade Fire, cet hymne optimiste (“There is a star in my throat / Yeah, a voice, there is hope”) et fédérateur illumine cette fin de disque. Portée par sa pulsation presque cardiaque et les basses d’un clavier, le morceau agit comme un rayon de soleil après d’imposants nuages. A noter que ce titre est également celui d’une compilation de démos parue en début d’année en édition très limitée, justement dans le but de pouvoir financer ce nouveau disque. Et ce n’est sans doute pas un hasard si celle-ci contenait déjà des versions de neufs morceaux (sur douze) de Leaving Meaning.


Enfin, My Phantom Limb vient conclure ce voyage intérieur, à la façon d’un dialogue tiraillée, inaudible, laissant les voix et incantations se démultiplier derrière un flot musical volontairement épuisant, derrière lequel se cache des paroles d’une immense richesse, à la conclusion élégiaque, qu’on jurerait tiré du Jubilee Street de Nick Cave & The Bad Seeds (décidément) : ” And we’re flying, yes we’re flying / And we’re rising, yes we’re rising / And we’re riding through the sky “.


Ainsi l’album le plus court des Swans depuis près de 10 ans s’étend quand même sur 90 minutes durant lesquelles, à aucun moment, ne surgit l’ombre d’un doute : peu importe ses incarnations, Swans reste, aujourd’hui encore, un des groupes les plus impressionnants de sa génération.


la critique complète

Kamille_Tardieu
9
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le 14 nov. 2019

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Le  K

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