Ceux qui me connaissent l'auront sans doute remarqué, j'ai un peu de mal avec le rap. Peut-être en grande partie parce qu'il faut concentrer toute son attention pendant une heure pour vraiment apprécier un album sur sa longueur, et que j'ai beaucoup de mal à me concentrer pendant une heure... Mais avec IAM, pas besoin de faire un effort, l'album te prend par le cou contre un mur, te fous 16 grosses baffes et te laisse pleurer dans ton coin. C'est simple, t'as pas le choix, t'écoutes. Et tu kiffes.
Des qualités musicales évidentes, d'abord. Tous les membres du collectif ont sans conteste un putain de flow, Je n'ai pas souvent croisé un album de rap avec des instrus aussi magistrales et accrocheuses. Et puis, le tout est particulièrement équilibré, alternant morceaux coups de poings et histoires plus légères.
Mais surtout, surtout, cet album est une plongée vers un enfer, l'enfer rougeoyant de la planète Mars, l'enfer des quartiers Nord. Digne d'un Les Misérables ou d'un Tres de Mayo, l'album met tout son art à nous décrire et nous dénoncer la terrible réalité. Car au fond, qu'est-ce qu'on sait de ces "quartiers sensibles" (chaque ville a le sien...) si on n'y vit pas ? L'image tellement déformée que nous en donnent les médias. Au travers de chansons comme Petit Frère ou Demain c'est loin, IAM nous explique, fait ressortir les raisons de la colère, bien mieux que ne le fait le journal de TF1... Le groupe ne tombe jamais dans la facilité, n'évite aucun sujet sensible, et parle de sa vie mieux que tout le monde.
Avec L'école du Micro d'Argent, on est plongé en immersion totale pendant 1h10 dans la vie de cette catégorie de population que l'on ignore trop souvent. 15 ans plus tard, l'album est toujours d'actualité : je me balade de temps en temps dans le quartier du Mirail, à Toulouse, et inévitablement, des paroles de l'album me reviennent dans la tête, et m'aident à comprendre ce que je vois, cette sous-culture si semblable et si distante.
Il faut ajouter que ce ne sont pas que les chansons les plus dures (Nés sous la Même Étoile, Demain c'est loin...) qui nous dépeignent cette réalité, mais aussi celles qui sont plus anecdotiques comme Elle donne son corps avant son nom ou Un cri court dans la nuit : cet album comme la réalité, a de multiples facettes, seize chansons aux thèmes différents qui décrivent chacune à leur façon la réalité des quartiers Nord.
Le tout est servi par des paroles exquises, rimes imparables, figures de style, et surtout délicieuses références : pêle-mêle, la Bible, Aladdin, Ran et les films de Kurosawa, Star Wars bien sûr, Jean-Paul Sartre... Les références sont foison, mais toujours justifiées, jamais lourdes. Le mélange des cultures et des références est justement ce qui fait une grande partie de l'intérêt de l'album. Le groupe s'est certes inspiré du Wu-tang mais s'est admirablement bien approprié ses codes pour nous pondre, selon moi, le meilleur album de rap français à ce jour.
Alors certes, l'écoute de cet album est éprouvante : il est long, et la dernière piste, Demain c'est Loin enchaîne coups de poing dans la gueule sur coups de poing dans la gueule. En tant que personne qui n'a jamais vécu dans un tel quartier, impossible pour moi de ne pas me sentir coupable. Et impossible de rester passif, cet album est, entre tous, celui qui me donne le plus envie de changer les choses. IAM fait mal, mais c'est une douleur nécessaire, une douleur libératrice, pour un album grandiose, poignant, un de ces albums qui te transportent dans un autre monde pour te laisser, à la fin, nu et sans repère. Une grosse baffe dans ta gueule, quoi.