Étrange album, bel album que ces "Aventures de Simon et Gunther" !
C'est bien celui-ci qui, sans être un succès d’ampleur, lancera véritablement la carrière de Daniel Balavoine, grâce à une chanson, "Lady Marlène", qui seule réussira vraiment à percer dans un premier temps.
Je pense qu'il est important de bien le remettre en contexte. Le mur de Berlin est le sujet central de tout l’album et implicitement les horreurs du régime soviétique, or nous sommes encore à une époque, où le paysage intellectuel français reste dans sa grande majorité très ambigu sur le régime. Le rapport Kroutchev, qui date de quelque temps déjà, fut tenu jusque là secret malgré quelques fuites et commence à peine à révéler définitivement au monde les horreurs Staliniennes qui perdureront après lui, bien que le régime soviétique fut en partie expurgé du culte de la personnalité du dirigeant. Beaucoup avaient déjà pris leur distance avec le régime soviétique mais pour aller finalement de Charybde en Scylla vantant dorénavant le maoïsme, qui de manière assez incroyable avait pourtant réussi à commettre des atrocités d’une ampleur plus effrayante encore (bien que la population bien plus massive de la chine explique en grande partie les surcroîts de massacres).
Bref en 1977, lorsqu'on est un jeune homme de 25 ans engagé et sensible aux idées de gauche, il est loin d’être évident de partager si publiquement son sentiment d’horreur face au régime qui symbolise mondialement l'anti-libéralisme et l'anti-impérialisme américain. En revenant de Pologne, devant des constats tout simples, devant un magasin, le chanteur découvre la réalité du paysage, l'absence de liberté individualité, l'uniformisation, la mécanisation des individus. Comment partager cette révélation alors ?
Et bien, par un album atypique qui, à travers un album-concept, nous narre l'histoire de deux frères séparés par le mur de Berlin. Ce qui rend véritablement intéressant ces chansons, (sauf la dernière qui est étrangement totalement hors-sujet) c'est que malgré sa jeunesse l'auteur ne tombe jamais dans l'écueil du pathos et du mélodrame. Une sensible pudeur insuffle à cet album une rare intensité.
Malgré tout, on y trouve un certain nombre de morceaux en-dessous des autres, principalement "Lise Altzmann" et "Mon pauvre Gunther" qui m'ont semblé personnellement trop explicites et pathétiques pour émouvoir authentiquement. "Les aventures de Simon et Gunther...Stein" est une chanson trop narrative qui englobe trop l'histoire des deux frères pour transmettre l'émotion essentielle qui hante ce récit. Cependant toutes les chansons, bien qu'inégales, trouvent leur place dans l'album, parfois trop explicites, ces morceaux permettent cependant de mieux comprendre, de mieux situer et de mieux expliquer le propos engagé qui s'y cache. On découvre aussi souvent dans ces morceaux, une situation générale qui dépasse le cadre des deux frères, et permet alors de donner toute son ampleur à l'histoire des deux frères, représentatifs d'un quotidien vécu par bien d'autres.
Et j'ai voulu garder le meilleur pour la fin, on y trouve trois chansons qui sont superbes : "Lady Marlène", le franc succès précédemment, "Lettre à Marie" et enfin "La porte est close", ma préférée. Ces chansons marient avec brio, des musiques magnifiques qui varient rythmes et sentiments, pour mieux narrer, surprendre et toucher. Au lieu de nous installer brutalement dans une ambiance trop clairement engagée, ces chansons nous invitent à réfléchir, à découvrir soi-même, l'horreur de la situation plutôt que de hurler son scandal. Ces chansons pleines de pudeurs se fondent souvent sur une anecdote qui semble anodine, mais se révèle finalement l'aboutissement de drames personnels. Et quelles émotions....
Je ne dirais rien de plus à propos de cet album, je me suis peut-être déjà trop attardé dans mon introduction, mais j'espère donner à certains l’envie d'écouter, si ce n'est l'album, au moins ses trois meilleures chansons en ayant bien en tête, la réalité historique qui la fonde et qui permette de les apprécier à leur juste valeur !
Bilan des notes pour chaque piste :
1. Correspondances : 6/10
2. La porte est close : 10/10
3. La réponse : 8/10
4. Mon pauvre Gunther : 6/10
5. J’entends cogner ton cœur : 7/10
6. Lise Altmann : 5/10
7. Les aventures de Simon et Gunther Stein : 5/10
8. Lady Marlène ; 10/10
9. La lettre à Marie : 9/10 ( Une chanson qui ne s'apprécie pleinement qu'en contexte, elle ne prend tout son sens que si on la considère comme chanson finale de l'album ! La dixième piste étant à part.)
10. Ma musique et mon patois :6/10