Dans L’Homme à tête de chou, Gainsbourg met littéralement un film en musique.


Tout commence dans une atmosphère électrique oppressante, mystérieuse, grave, décrivant parfaitement la situation du narrateur. Il se décrit :


« Je suis l’homme à tête de chou
Moitié légume moitié mec »


On comprend qu’il est en dépression et qu’il a des problèmes d’argent :


« J’étais à fond de cale à bout de nerfs » et
« J’avais plus un kopeck ».


S’ensuit la rencontre du journaliste et de la shampouineuse Marilou « Chez Max coiffeur pour hommes », ou il rentre par hasard, et pas rasé. On notera par ailleurs exactement le même début entre les 2 premiers morceaux. Il lui propose donc de sortir :


« Puis sous le sirocco du séchoir dans mes cheveux,
La petite garce laisse choir, je veux ».


Ambiance reggae, discothèque posée, Marilou danse et semble exciter le narrateur, ses sens sont décuplés :


« Quand Marilou danse reggae
Elle et moi plaisirs conjugués
En Marilou moi seringuer
Faire mousser en meringué »


A tel point qu’il se met à divaguer, délirer totalement. Transit à Marilou démarre en rythme dans une atmosphère surréaliste :


« Vroom vroom me voici rose zinc
Avion fantôme hou hou
Aéroplane vieux coucou
Dont l'altimètre se déglingue
C'est à peine si je distingue
Les balises du terrain où
Je me pose en casse-cou »


Le narrateur se ressaisit, tout comme la musique ambiance LSD, multi couleurs, qui vient s’estomper pour faire place au réalisme :


« Mais non voyons suis-je dingue
Je suis à Marilou ».


A l’improviste, un soir, il rentre chez lui. La musique s’emballe, on comprend la vision d’horreur que va voir notre narrateur :


« Elle était entre deux macaques
Du genre festival à Woodstock
Et semblait une guitare rock
A deux jacks
L'un à son trou d'obus l'autre à son trou de balle (alexandrin)
Crac »


Cette vision va le hanter jusqu’à la fin, sa lente descente aux enfers peut commencer et ne jamais s’arrêter.


Avec Aéroplanes, la musique épouse la tourmente du narrateur, hanté, qui déverse sa haine sur cette garce :
« Pauvre idiote tu rêves tu planes
Me traite de fauché de plouc
De minable d'abominable bouc
Qu'importe, injures un jour se dissiperont comme volute Gitane ».


Les Premiers symptômes apparaissent avec une guimbarde qui donnerait presque la migraine. Le narrateur continue sa descente aux enfers, s’accompagnant d’une transformation physique :


« Je m'allais enfermer dans les water-closets
Où là je vomissais mon alcool et ma haine »


« Et les petits enfants riaient
De mes oreilles en chou-fleur
J'avais pris peu à peu la tronche d'un boxeur ».


Soudain, le narrateur change de registre, se rebelle et lance même des menaces à cette sale gueuse shampouineuse :


« Oh ma lou
Oh ma lou
Oh Marilou
Si tu bronches je te tords le cou »


« Tiens-toi à
Carreau la
Vie est brève »


Gainsbourg s’inspira, ou copia, la sonate pour Piano n°23 - Appassionata 1er Mouvement - de Beethoven pour créer Ma Lou Marilou.


Le poème Variations sur Marilou commence, la musique devient classique et prosodique. C’est le moment absolu de l’album, le point d’orgue. Plus de 7 minutes pour ce morceau pour un album en faisant 31. Ces 7 minutes sont magistrales, érotiques, presque qu’historiques tant les paroles sont parfaites, maitrisées, remplies de figures de style. On a le souffle coupé. Pas moins de 425 mots de haute voltige parsemés d’un nombre de références incalculables :


« Dans son regard absent
Et son iris absinthe
Tandis que Marilou s'amuse à faire des vol
Utes de sèches au menthol
Entre deux bulles de comic-strip
Tout en jouant avec le zip
De ses Levi's
Je lis le vice
Et je pense à Caroll Lewis »


Les Variations terminées laissent place au drame. Meurtre à l’extincteur est la piste la plus courte de l’album :


« Brandissant le cylindre
D'acier je frappe paf et Marilou se met à geindre
De son crâne fendu s'échappe un sang vermeil
Identique au rouge sanglant de l'appareil ».


Après ce meurtre, c’est l’apaisement et la mélancolie avec Marilou sous la neige, ma chanson préférée aux césures savantes. L’émotion est à son comble dans la voix de Gainsbourg.


Marilou gît donc sous la mousse de l’extincteur et l’homme malheureux se questionne :


« Marilou repose sous la neige
Et je me dis et je me redis
De tous ces dessins d'enfant que n'ai-je (césure rimée)
Pu préserver la fraîcheur de l'inédit ».


La mort de sa Marilou va le hanter, le conduisant dans une folie destructrice qui va le transformer en légume dans ce Lunatic Asylum, qui sera le dernier morceau de l’album :


« Le petit lapin de Playboy ronge mon crâne végétal »


Ainsi s’achève « L’Homme à tête de chou », troisième concept album de Gainsbourg, après le sublime « Histoire de Melody Nelson » en 1971 et le splendide « Rock Around the Bunker » en 1975.

Kolera
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le 2 avr. 2016

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