MARILOU, COMME UN BOOMERANG
1976, dans un studio de Londres
Deuxième opus, deuxième service avant une virée aux confins de la Jamaïque
Quelques années plus tard
Du haut de mes 15 piges, je n'en suis pas encore là.
Je découvre l'artiste Gainsbourg, bien plus qu'une tête de chou.
Si l'Histoire de Melody Nelson a pu m'apprendre le sacrilège d'aimer et le sacrifice de l'amour, ce deuxième album concept m'a fait basculer dans l'univers de la frénésie passionnelle.
"L'homme à tête de chou", car il s'agit bien de cela, raconte une histoire, construite comme le plus banal des faits divers.
Ou comment un journaliste d'une "feuille de chou à scandale" va finir dingue, fou d'amour de Marilou, petite garce shampouineuse, libre, désinvolte, belle et rebelle (1- L'homme à tête de chou).
L'ambiance se veut plus glauque, c'est presque malsain. On sait dès le début que ça va mal finir.
12 chansons, qu'on égraine comme un chapelet, narrant, perle par perle, une véritable descente aux enfers que Dante lui-même ne renierait pas.
"Mais comment, je ne vais pas du tout déballer comme ça aussi sec."
Du haut de mes 15 piges, dis-je, j'assiste conscient et complice à la rencontre fortuite entre deux êtres que tout sépare. (2- Chez Max coiffeur pour homme).
Je les vois s'éparpiller dans leurs illusions détruites : l'un sème, l'autre s'égare.
"L'homme à tête de chou" n'est pas seulement une sculpture de Claude Lalanne achetée par Gainsbourg, c'est l'album où il tentera le premier reggae (3- Marilou reggae) ; c'est aussi une œuvre empreinte de rock, de modernité, une réussite libertaire et littéraire.
Tout est sexe, passion, destruction, folie.
Gainsbourg me parle.
Au travers de la nymphomane Marilou, j'exulte mes propres déboires amoureux et adolescents (c'est dire si c'est grave !)
15 piges, dis-je, me voilà absorbé par les volutes mentholées des Kool que je pique à ma sœur.
Voici venir le point cul-minant de l'album, le joyau, la perfection descriptive : 9- Variations sur Marilou.
Cette chanson, je l'aime et je la déteste. C'est comme ça, faut pas chercher à comprendre, il faut juste écouter et entendre.
Dans ma contemplation juvénile, je demeure fasciné par cette œuvre. Une fascination envieuse.
Je me laisse emporter par les méandres narratifs qui conduisent mes pensées de l'iris absinthe à l'entrejambe de Marilou.
Elle esquisse d'une exquise caresse un bouleversant coït qui la conduira droit à l'extase, au son de "Jimi Hendrix, Elvis Presley, T-Rex, Alice Cooper, Lou Reed, les Rolling Stones, elle en est folle"
Ex-fan des sixties avant l'heure.
Jamais chanson ne m'aura autant subjugué : virtuosité maitrisée et imperfectible.
Fatale.
Hypnotisé, elle me donnera le goût d'écrire.
Je m'égare. Revenons aux choses sérieuses.
Abusé par cette chienne "à la beauté païenne", le narrateur assiste désespéré aux caresses solitaires, aux partis de jambes l'air et aux ébats en triolisme de sa Marilou (5- Flash forward)
Absolument pas désabusée, la fillette se moque ouvertement du narrateur, lui en fais voir de toutes les couleurs : des vertes et des pas mûres (6- Aéroplanes).
Peu à peu, l'homme se débat, perd la tête, se prend le chou et éclate celui de Marilou à grands coups d'extincteur pour éteindre le feu au cul de sa Lou (7- Premiers symptômes, 8- Ma Lou Marilou, 10- Meurtre à l'extincteur,11- Marilou sous la neige).
Apparition des didjeridous. Nouvelles sonorités, encore inconnues, qui accompagnent de leurs résonances rituelles, l'homme à tête de chou aux pays des Merveilles des fous. (12- Lunatic asylum).
L'album tombe à pique pour moi : ado torturé et tortueux, dans la recherche constante du plaisir et de la douleur.
L'album des paradoxes et du haut de mes 15 piges dis-je, j'ai pris ce disque comme un boomerang.
Quelques années bien plus tard
J'en ai 40 et je viens de prendre, en retour, ce boomerang dans la gueule.
Un disque qui se veut abouti par un réalisme déconcertant, une forme d'impressionnisme musicale où la beauté s'épanche, en petites touches, sur le sordide et le sordide, comme de la peinture au couteau, magnifie la beauté.
Plus rock dans la musique, plus concis et percutant dans les mots, Gainsbourg explore ses mythes, ses fantasmes et en retire le substrat pour en faire une œuvre majestueuse et destructrice.
Comme une peinture de Francis Bacon.
L'histoire d'une vie ou parabole de la métamorphose, annonciatrice du Gainsbarre en devenir ?
1979, dans un studio de Kingston, Jamaïque