"MELODY NELSON, C'EST MOI"
C'est décidé, vieille canaille, à mon tour de chroniquer les disques qui ont marqué mon éducation musicale. Je me la suis construite à la force... de quoi d'ailleurs ?
Oui, oui, j'entends ici les quolibets... Peu m'importe, j'ai une culture musicale qui m'appartient, je la revendique parce que sans la musique, je ne suis pas.
D'abord, elle est émotion (ça, c'est un poncif).
Ensuite, elle est ce que je ressens (autre poncif ?)
Pour terminer, la Musique est sûrement ce qui me bouleverse le plus, avant (ou après) l'Amour.
Au final, c'est toujours une question de sentiments.
Etrange cette entrée en matière pour commenter un disque.
Pas grave, puisque c'est subjectif.
L'Histoire de Melody Nelson va tout de même plus loin que la simple subjectivité. Pour être tout à fait objectif, ce disque est la pièce majeure de ce qu'on appellera quelques quarante ans plus tard, la French Touch.
Ou comment associer le savoir faire musical so british à l'art de savoir écrire des textes si français.
Pour faire simple, des chansons à textes, écrin de la narration, servit par une pop limite psyché, fusion de wah-wah, de fuzz bass, de cordes et de chœurs symphoniques.
A la barre, deux talents, deux amis, deux génies. A eux deux, ils forment un gang, leurs noms Serge Gainsbourg et Jean-Claude Vannier.
Ils pareront Melody Nelson d'un charme absolu où se mêlent la naïveté et la gravité. Ici, Gainsbourg aborde et revisite, de façon magistrale, "Lolita" de Nabukov : l'amour impossible entre un homme d'âge mûr et une jeune fille de quinze ans.
Bien sûr que ce disque est une œuvre, un chef d'œuvre : on tient ici le premier album concept de la chanson française.
Les Anglais et les Américains en ont déjà la maitrise (Tommy, Electric ladyland) et en homme averti, cultivé et précurseur, Gainsbourg s'approprie le principe et le sublime.
D'abord une histoire construite comme un scénario de film, ajustée par une B.O. originale. Le format ensuite : sept chansons articulées autour de 3 courts-métrages :
1 Melody,
5 L'hôtel particulier
7 Cargo culte.
Le tout agrémenté de scènettes sympathiques, chantantes et qui vont fournir toute la dramaturgie à ce film musical :
2 Ballade de MelodyNelson
3 Valse de Melody
4 Ah ! Melody
6 En Melody
(ordre de passage dans l'album)
Il va s'en dire que la pochette azurée de l'album ne laisse pas indiffèrent : Jane Birkin est au sommet de sa beauté et enceinte jusqu'aux yeux de Charlotte, un ventre rond à peine dissimulé par une poupée de chiffons.
Elle incarne avec son déhanché et sa nudité fragile la Melody sculptée par Gainsbourg, lequel aurait pu s'écrier :
"Melody Nelson, c'est moi !"
Je vous invite à écouter ce disque incomparable, de vraiment l'écouter pour ne pas manquer d'entendre :
"Et je garde de cette espérance d'un désastre
Aérien qui me ramènerait Melody
Mineure détournée de l'attraction des astres."