Au début...
Voilà ce que je connaissais de Jimi Hendrix : une guitare brûlée, "Hey Joe" et l'hymne américain à Woodstock.
Et puis c'est tout.
Ce qui reviens à dire : RIEN
Des personnes bien intentionnées ont tenté de m'initier à sa musique sortie de nul part, bruyante. Elle me faisait peur.
"Le plus grand guitariste de tous les temps", tu parles, c'est pas un peu démesuré ?
Une qualification qui peut en écraser plus d'un et moi le premier qui ne suis pas musicien.
Le genre de titre honorifique qui te dégoûte d'apprendre la guitare, au demeurant si difficile et lui qui en joue avec tant de facilité.
A quoi pense un guitariste avant de jouer ? est-ce que l'esprit de Jimi guide ses doigts sur les cordes ?
Deux questions auxquelles je ne veux pas répondre. Par lâcheté.
Au milieu...
Quand je parlais de musique, je faisais souvent référence au gaucher de Seattle et j'ai toujours eu l'impression de ne pas me faire comprendre.
Tout le monde admire Hendrix, ce doit être un acquis. Je ne suis pas tout le monde. Alors comment je fais ?
Tout d'abord je me suis posé la bonne question.
Elle est simple : comment faire pour ne pas passer à côté de ce musicien ?
Dans une autre vie, elle ne m'aurait même pas effleuré l'esprit, je pouvais vivre sans lui.
Puis, dans les fumées brumeuses, j'ai distingué un homme plutôt grand, tout en finesse, les muscles tendus, masturbant le manche de sa guitare.
Suspendu aux lèvres du chanteur, je me suis émancipé dans une jouissance sonore et libératrice de tout ce qui ne peut pas exister sur terre, prêt à accueillir sa création.
Un jour, je me suis retrouvé face à lui, sans aucune possibilité de faire demi-tour. Je devais affronter ma crainte de ne jamais comprendre, je ne pouvais plus nier l'évidence.
Ce fut brutal, comme un coup de poing qui a mis fin à ma naïveté. Serais-je à la hauteur du culte ?
Je dis ça parce que le premier disque que j'ai acheté de lui, c'est "Electric ladyland".
La musique de cet album reflète les temps troublés d'une Amérique qui se réveille face à son cauchemar : M.L. King est mort, la violence des droits civiques, la guerre au Viet-Nam.
Une sensation domine l'ensemble du concept, celle du chaos aussi créateur que destructeur.
Le pessimisme est ambiant, parfaitement illustré par sa reprise de Dylan "15- All along the watchtower".
Voilà comment j'entre dans l'univers d'Hendrix, par la grande porte.
A la fin...
A partir de ce moment, j'ai trouvé refuge dans sa musique pour alimenter mon imaginaire (11- 1983... (A Merman I Should Turn To Be, 12- Moon, Turn The Tides...gently gently away). Cet artiste a peint mes rêves, m'offrant à moi seul un spectacle de pyrotechnie, alchimie d'accords et de riffs.
Il incarne ma nécessité de voir le monde autrement, comme une invitation onirique à inventer à chaque fois : l'impossible existe, le céleste est à la portée de toutes les oreilles, pour peu qu'on veuille bien les ouvrir et se délecter de ce cadeau divin qu'est Electric Ladyland (1- And The Gods Made Love).
C'est comme une émeraude brillant de milles feux. Un diamant à multiples facettes : soul, jazz, blues, rock, classique, psychédélisme. Tout est fusion, effusion de sens.
Il incarne la quintessence de toute une époque, avec bien souvent de l'avance sur ses contemporains et ses héritiers.
"Electric ladyland" est le carrefour idéal de cette décennie.
Ma fascination résulte de sa magie, pour ne pas dire son génie, d'être toujours là où personne l'attend. Alchimiste extra-terrestre : en phase avec les éléments et l'esprit tourné vers l'espace.
Il détourne les codes pour tracer une voie différente et bâtir un univers sonore dont il est le seul à posséder les arcanes.
Il défonce le blues comme il se défonce lui-même, en lui injectant une substance hallucinogène à effets hautement transgressif (4- Voodoo child, 16- Voodoo child [slight return]).
Au fond, je suis content de n'avoir jamais vu Hendrix jouer en concert. Pourquoi ça ?
Au-delà...
"Quand le rêve devient réalité, il ne reste que la réalité". Ce n'est pas de moi et je ne sais plus qui a dit ça.
Je veux continuer à rêver avec lui. Parce que sans cet idéal musical, je donnerai l'illusion d'exister.
"Electric ladyland" confère cette sorte d'immortalité qui nous empêche de sombrer dans la dépression et la déréliction.
La plus grande utopie de l'homme, et sans doute la plus folle, c'est d'être Dieu lui-même. C''est pourquoi, quand un musicien céleste fait l'intérim et joue comme un dieu, ça fait des jaloux. Cet ange a brûlé bien plus que sa guitare, il a incendié ses ailes.
Il en est mort et cette version me suffit.