Sur un lit de musique de chambre fin dix-neuvième se prélassent et s’entrelacent des mots, des vers, splendides, sensuels, envoûtants. Ambiance romantique et délicatement perverse autour du désir, alias libido .
Libido sciendi (désir du savoir) , libido dominendi (désir de domination) et libido sentiendi (désir des sens) ; des trois catégories du désir définies par Augustin d’Hippone (alias Saint Augustin), au quatrième siècle il n’en subsiste qu’une aujourd’hui…à cause de la réductrice définition purement sexuelle qu’en a donné le père Sigmund qui – dans la foulée de Spinoza - résume la libido à « une force ou énergie pulsionnelle en conflit avec les conventions et le comportement civilisé ». Et pourtant cette trinité originelle de la libido a été à l’origine de l’inspiration de nombreux penseurs, poètes et écrivains… Alors on dira qu’il ne serait pas stupide d’élargir cette fameuse « énergie pulsionnelle » au miracle de la création artistique…qu’on arrive à trouver aussi parfois (pas souvent) en position de conflit avec les conventions et le comportement (dit) civilisé.
Brigitte Fontaine incarne ici la libido dans sa définition la plus large : appétit sensuel, dérision caustique, provocation iconoclaste, atmosphères malsaines, odeurs crues, rythmes voluptueux, sentiments profonds, mystères excitants, délires hilarants, images acérées… sortent d’une plume extraordinaire, imparable et précise, trempée dans un enivrant élixir poétique. Le tout magistralement scandé par la grande prêtresse, de son envoûtante voix enfumée, sur la très élégante musique, aux épatants accents surannés, qu’Areski, son époux et collaborateur depuis des lustres, a choisi de confier au piano et à une formation de cordes de type quatuor. Quelques invités : -M- le fidèle zazou aux guitares (et dans le rôle d’un génial Mister Mistère), ainsi que le revenant Jean-Claude Vannier sur un Mendelsohn où plane l’ombre du père de Mélody Nelson.
Somptueux, d’une élégance folle, l’écrin est parfait pour accueillir douze obscurs objets du désir emmenés par la fabuleuse visite d’un Château intérieur, chef d’œuvre absolu.
Dans la parfaite lignée de Kékéland (l’album du retour en 2001) et Rue Saint-Louis en l’île (en 2004), Libido nous rappelle comme une évidence et si besoin était que Brigitte Fontaine est une des plus importante et des plus talentueuses et des plus originales et des plus libres et des plus belles et des plus profondes et des plus extraordinaires figures de la chanson française.
Et Brigitte de répondre à la fin du dernier morceau :
-« On va à l’hôtel ? »