Pour la troisième fois en trois soirs, j'écoute cet "album".
Le premier soir, j'ai voulu qu'il finisse en beauté ma journée et me fasse sourire.
Le deuxième soir, j'ai voulu cerner ce qu'il m'avait fait ressentir le premier soir.
Ce soir, j'ai voulu écrire pour essayer de comprendre ce que j'avais ressenti.

Dés l'arrivée des premiers cuivres, je souris et une joie m'envahit.
Storm est une ouverture magnifique, toute en douceur, avec ces guitares qui s'entremêlent et créent cette atmosphère unique et pure. Et commence la première montée de violons. Je sais d'ores-et-déjà que quand ça explosera, je sur-kifferai. J'attends avec impatience le moment fatidique. La batterie et la basse se lâchent et m'emportent enfin. Là, j'ai envie d'embrasser le monde entier. J'ai envie de jouer au dieu rien qu'un instant, et de pouvoir rendre ce monde joyeux. Je veux qu'il connaisse le bonheur...

Deux douces mélodies de guitare et de violon me bercent, et m'emmènent dans un autre monde.
Mais le repos sera de courte durée, la batterie me réveille. Je suis en plein cœur de l'océan, et je m'engage au cœur d'une tempête apocalyptique. Elle m'emporte avec elle, et je chute. Je tombe encore et toujours plus bas. Je sens l'odeur d'un monde souterrain se rapprocher. Mais alors que l'impact semble inévitable, tout se met à ralentir autour de moi. Je peux alors mieux percevoir le monde dans lequel je suis, à cet instant présent.
J'atterris doucement, dans cet autre monde auquel je me sens étranger.
Les accords de piano me remplissent et me guident dans ce monde vide. Ils forment un vaste couloir éclairé, et à chaque note, je suis propulsé tendrement vers une porte, qui semble être mon objectif. Aucun effort n'est nécessaire, je n'ai qu'à me laisser emporter par le courant.
Je me mets à penser à tout ce que je laisse derrière moi. Mais je n'ai pas le temps de culpabiliser, j'ai déjà dépassé la porte.

Le monde dans lequel je viens de rentrer est mécanique. J'entends un train siffler, et des fréquences aiguës me cisaillent les oreilles. Mais je n'ai pas peur, cette atmosphère m'inspire et je trouve une certaine beauté dans cette rigidité. Ces vagues stridentes me bercent.
Le train s'arrête devant moi et des ombres m'invitent à entrer. Une fois dedans, toute l'oppression s'est transformée en tristesse. Les violons jouent une mélodie mélancolique. Une ombre se lamente en public de ce qu'est devenu ce monde et se demande quand le bonheur reviendra. Je veux sortir, mais le train a quitté la gare.
Je rentre dans un autre wagon, noir. Je ne vois pas où je vais mais marche vers l'inconnu. Seule la basse est là pour m'indiquer le temps qu'il me reste. Les violons rentrent et je sais qu'il y aura une conclusion brutale qui me transformera. Un xylophone veut que je le suive. Je sais que c'est un piège mais n'ai pas d'autre choix que de m'y accrocher si je ne veux pas me perdre dans les ténèbres.
La batterie me surprend, et tout s'allume : je suis repéré. Chacun de mes gestes est surveillé et jugé, il n'y a aucune échappatoire. Mais je continue de marcher malgré tout, vers une nouvelle porte, tout en sachant que je n'y trouverai rien de bon derrière.
Je la traverse et le rythme s'accélère. Je suis poursuivi, et me mets à courir, tête baissée, sans espoir. Toutes ces forces maléfiques rentrent en moi alors que j'essaye de leur échapper.
Puis elles me jettent hors du train.

Je subis de terribles acouphènes, alors que j'entends le train continuer son trajet. Je suis au plus profond des Enfers, les cymbales me cisaillent les tympans et une goutte tombe éternellement.
Je me trouve au cœur de l'horreur, elle est en moi, mais je ne ressens aucune peur. Seule la souffrance continue sans cesse. Il m'est impossible de m'en échapper.
Au fil du temps, je commence à prendre plaisir à écouter ces grincements. Je commence à aimer ce monde et ne veux plus en sortir.
Mais il commence à se dissiper, et je me sens m'élever. Ces bruits finissent par disparaître.
Je me réveille sur la plage. J'entends les oiseaux chanter et un vieillard me raconte sa jeunesse. Il regrette le temps où cette plage était un lieu d'union entre l'homme et la nature. Il se met à pleurer.
Je regarde la mer, et décide de rentrer dans l'eau pour noyer mon chagrin. J'ai de nouveau envie de sauver ce monde qui périt. Je viens de vivre l'Enfer, et je veux libérer l'Homme de ce chagrin. Mais cette fois, je me sens impuissant. Ma volonté s'est transformée en désespoir.

Arrive alors la guitare et ses doux accords. Elle me redonne espoir. La basse et les cordes amènent la tristesse. Je pense ressentir la souffrance mais je ne la vis pas. Donc je ne peux pas me permettre de ne pas être heureux. Ce paradoxe me trouble mais me redonne confiance. Je sors de l'eau et me dirige vers la terre. J'avancerai quoiqu'il advienne, et je veux sourire, et je veux danser, pour comprendre ma place dans ce monde. Je saute dans un train en marche, qui avance vers une montagne. Je sais qu'il mène vers le futur et vers le bonheur. Tout va de plus en plus vite, il m'est impossible de voir l'essence des choses, mais j'ai tellement à apprendre. Mais je ne dois pas lâcher prise, je ne veux pas retourner dans cet enfer métallique qui commençait à me conforter.
Je parviens à me concentrer sur la guitare saturée, et laisse la batterie faire son chemin. Alors que je la contemple, elle s'éteint progressivement. Le train ralentit, et je saute au pied de la montagne.
Pour la première fois, je ressens la peur. Mais le xylophone me permet une nouvelle fois de garder le cap, alors que j'entends des voix marmonner tout autour de moi.

Alors que la batterie part, je commence ma longue ascension. Le cor se joint à l'orchestre pour me soutenir. Je saigne des mains, mais j'en jubile. Je me sens rempli, et la musique tue ma solitude.
Elle s'arrête brusquement, et je commence à tomber. Mais la batterie revient sur un autre rythme, et je redouble d'effort. Elle monte encore et encore. Je veux arriver au sommet pour l'explosion finale. J'arrive en haut, mais la musique continue son ascension sans moi. La musique s'arrête et me laisse seul, là-haut à me contenter de ma médiocrité.

Un cow-boy dans une cabane joue de la guitare. Je me rapproche et l'observe. Il semble heureux, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas aperçu ce sentiment. Mais qu'a-t-il de plus que moi, cet être également au sommet de la montagne ?
Un terrible vent souffle et fait disparaître sa cabane. Je reste sur place, mais tout autour de moi part en fumée. Je ne perçois ni la terre, ni le ciel. Rien que le vide.

Mais j'entends une nouvelle mélodie. Elle est joyeuse et simple. J'entends des enfants jouer et chanter. Que donnerais-je pour retourner à cette époque d'ignorance, d'innocence et de pureté ?
Et sans que je m'y attende, une joie intense et brève m'envahit. Je revois ma vie, tous ces souvenirs heureux et malheureux qui m'ont fait devenir qui je suis aujourd'hui.

Aussitôt, je me réveille, en bas de la montagne.
J'entends le vent souffler doucement. Je réalise que qu'après toutes ces montées instrumentales qui me faisaient jubiler, je viens d'accéder au bonheur inégalable alors je ne m'y attendais pas.

Et une nouvelle mélodie repart, et la batterie remonte en puissance. Et même si je sais que je n'atteindrai plus un tel niveau d'émotion, je continue en vain à y croire. La musique monte en puissance une dernière fois, mais cette fois il n'y aura pas d'explosion. Je me suis fait avoir une énième fois, et recommencerai si l'occasion se représente.

Ce soir, j'ai voulu écrire pour essayer de comprendre ce que cet album m'avait fait ressentir.
La mélodie a fini son rôle, elle peut laisser place à ce final sublime. L'atmosphère est à présent paisible, angoissante, psychédélique, mécanique, diabolique et jubilatoire à la fois. Je regarde vers le ciel et observe toutes ces notes qui s'harmonisent de manière incompréhensible pour l'Homme. Mais je souris parce que je sais qu'il n'y aura jamais d'échelle assez grande pour les atteindre.
yaya-dc
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le 3 déc. 2013

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