Little Dots fait partie de ces gemmes déterrées pour faire perdurer la légende de Zappa et de son orchestre éphémère du Petit Wazoo, moins connu que les Mothers mais pourtant ici dans une forme olympique. Si le son n'est pas toujours à la hauteur et semble être capté depuis un coin de la scène, le répertoire déployé ici le temps de quelques soirées de novembre et de décembre 72 révèle combien l'épopée jazz-rock initiée brillamment avec Hot Rats en 69 perdure encore et développe dans son sillon de nouveaux horizons sonores. Inutile de dire que la toute jeune version de Cosmik Debris jouée ici en introduction et qui apparaîtra deux ans plus tard dans sa version studio sur Apostrophe (') fait office d'apéro dinatoire trois étoiles avec serviettes en jacquard de coton et chandeliers polis au mirror. La grande classe avec ce qu'il faut de cuivre et d'impertinences jazzy.
A peine remis de l'émotion d'un titre pourtant drôle mais entendu ici à l'état quasi embryonnaire, Little Dots Part 1 démarre expose par petites touches improvisées son caractère amusant et amusé, rappelant le travail d'improvisations des Mothers, avant de succomber à l'appel d'un rock progressif seventies brûlant et que l'on croirait infini. Les types auraient très bien pu jouer encore un quart d'heure sans que l'on ne trouve le temps long, simplement le Petit Wazoo préférera se la jouer Chicago Electric avec de sérieuses réminiscences Claptoniennes sur Little Dots Part 2, aussi virtuose que sexy et aride à souhait, réhaussé de cuivres saouls comme des polonais. Merci Tony Duran et son incroyable guitare slide.
Le groupe carbure avec un rock crasseux et poussiéreux à souhait. On comprend rapidement pourquoi Zappa faisait régulièrement salle comble jusqu'au début des années 80 tant le spectacle était relevé, option plus que vitale pour payer les factures colossales nécessaires pour réussir à bouger tout ce beau monde à travers les USA et l'Europe, les ventes de disque symboliques ne suffisant pas. La même année, Zappa sortait deux oeuvres colossales et ambitieuses avec Waka / Jawaka et The Grand Wazoo, Little Dots pourrait presque être leur pendant artistique réhaussé non pas d'or mais de guitares électriques calibrées comme il faut. Rollo symboliserait à lui tout seul cette ambition musicale grandiose, à la fois machine à cool et grand orchestre. Zappa avouait qu'il prenait beaucoup de plaisir à jouer de la guitare à l'époque de Zoot Allures, inutile de dire que le sentiment semble être le même en cette année 72, Kansas City Shuffle faisant office de boeuf bluesy avant que n'arrivent les giclures wah-wah typiquement Zappaiennes à mi-parcours, le temps de soli inarrêtables. Un boeuf qui en appelle un autre puisque l'album se clôture sur un énigmatique "Columbia S.C." totalement inédit car totalement improvisé. Les musiciens choisis par Zappa pour exercer un freestyle délicieusement jazzy et fanfaron l'apprennent en direct et doivent jouer au gré de leur improvisation.
On peut entendre Zappa dire sur l'OST du documentaire définitif "Zappa" sorti cette année que si ses musiciens et lui-même ont pu tenir jusqu'au bout, contre vents et marées, c'est parce qu'ils aimaient tout simplement jouer, jouer et rien que jouer. Sans cet amour mutuel pour la musique, ses formations n'auraient jamais tenu le coup. Trop exigeant, trop complexe à retenir, trop lourd à voyager; Little Dots est le parfait exemple d'une formation en parfaite adéquation avec son chef d'orchestre toujours les mains dans le cambouis.