Avant, Obispo, c'était un type, il avait des cheveux noirs, longs. Il portait des lunettes jaunes qui contrastaient bien avec sa chevelure, se prenait déjà un peu pour Polnareff, son idole de toujours, sauf que personne ne le savait. Il était clairement dans la séduction, les histoires d'amour. Musicalement, il était cantonné au carcan de la varièt'. Les gens ne le haïssaient encore pas trop à cette époque, les filles étaient toutes amoureuses de lui et de la pochette de « Superflu ». Les mecs le respectaient un peu. Un tombeur quoi. Et puis est arrivé ce jour étrange où le beau gosse s'est lassé de ses lunettes et rasé les cheveux (certains disent que ses derniers neurones ont été arrachés en même temps). Il a sorti « Soledad », un album où la majorité des chansons font plus de 5 minutes, et dans le style, très différent du précédent. En clair, il a commencé à vouloir se distinguer (autre vision un peu plus négative : à se prendre pour ce qu'il n'était pas). A cet instant, il est devenu le vilain petit canard de la chanson française. Le chanteur dont on fut épris devint chanteur incompris, une tromperie. La rumeur a commencé à lui prêter un ego boursouflé. Ne le connaissant pas personnellement, je me garderai bien de donner un quelconque avis là-dessus : je n'en ai pas. Et puis nous sommes ici pour juger la musique, pas l'homme. J'ai juste le sentiment que ce torpillage a provoqué (je dirais même « réveillé ») en lui des blessures profondes, qu'il a tenté de s'en défendre comme un gamin dans un monde d'adultes : avec fragilité et excessivité. J'ai le souvenir de ce passage télé éclairant aux Victoires de la Musique, où, remportant enfin un prix, il annonce à Drucker qu'il va chanter « Lucie », mais c'est « La prétention de rien », l'un des titres de « Fan », qu'il interprète finalement au piano. Il suffit d'en lire les paroles pour apprécier ce geste d'autodéfense à la fois maladroit et touchant.
Avec « Fan », donc, Obispo a choisi la thématique de l'hommage aux idoles (principalement Polnareff, mais pas que) et à la musique en général. On peut classer dans la catégorie numéro un « Fan », le premier single, « Zinedine », le second, mais aussi « La bombe humaine » (une reprise passable du tube de Téléphone) ; un titre comme « Merci l'artiste » appartient clairement, lui, à l'autre bord. « Quelqu'un nous appelle » et « D'un piano à l'autre » se nourrissent, quant à eux, des deux côtés, assurant une sorte de cohésion. Les autres chansons semblent plus personnelles : ce sont étrangement les meilleures, à l'exception de l'immonde duo « made for NRJ » featuring Natasha Saint-Pier ; une faute de goût qui fait tâche dans un album aussi introspectif... Vive le bouton « skip » ! Bref, croyez-le ou non, « Fan », ce n'est pas seulement cette vision simpliste du « Ouah l'autre, il se prend pour Polnareeefff ! LOLILOL ! ». Coup d'œil sur le texte de « Une folie de plus » pour s'en convaincre : « Se glisser dans un autre pour mieux parler de soi / Revenir d'où l'on vient pour savoir où l'on va ». Il s'agit bien d'un état des lieux de la vie de l'artiste, derrière le maquillage et l'attitude granguignolesque. Une « schizophrénie du showman » jusqu'au-boutiste, mal perçue et peut-être mal gérée, puisqu'elle a définitivement emprisonné Obispo dans un rôle de salaud narcissique.
Car puisque nous en sommes à discuter de double personnalité, voici une nouvelle information intéressante : même le disque en a une, musicalement parlant. Après le miroir des thèmes et celui de l'artiste, déjà évoqués, voici celui des instruments. Au fil des morceaux, pianos et guitares se disputent principalement la vedette. Rien de très étonnant en ce qui concerne le piano, qui est un peu la marque de fabrique d'Obispo ; en revanche, les sons de gratte saturés empruntés au rock alternatif et à la powerpop, parfois mâtinés d'electro, apportent un nouveau souffle à son univers. L'auditeur navigue ainsi entre le calme ( « Quelqu'un nous appelle », « D'un piano à l'autre »...) et la tempête (les énormes « Je suis de l'Atlantique », « Besoin de rêver », « Une folie de plus »...). « Fan » et « La prétention de rien », en introduction, illustrent cette idée en mariant les deux genres. Evidemment, cette volonté d'apporter un concept à ce disque et sur la tournée qui a suivi, a, encore une fois, achevé d'aggraver la réputation du gendre idéal de la varièt', qui, d'un coup, se payerait un melon d'enfer (« Quoi, il se la joue rock star maintenant, il « s'inaccessibilise » ? »).
Rassurez-vous, nous voici presque arrivés au bout... Mais c'est que mine de rien, il y en a à dire sur cet opus ! Généreux le gars. Figurez-vous qu'en effet, la dualité est poussée à tel point que celui-ci est en fait composé d'un duo de CD. Que contient l'autre, me demanderez-vous ? Il s'agit d'un enregistrement live, principalement composé de reprises de Polnareff. On y remarque également un titre inédit sympa, « Les fans et les chansons d'abord », réservé aux concerts. Le CD se termine sur des bonus (toujours le même principe, notamment une belle cover de « Nos mots d'amour », la meilleure chanson de l'idole aux lunettes blanches).
Allez, il est temps de conclure cette fois. Si ça peut en rassurer certains, Obispo est revenu à quelque chose d'un peu moins « prétentieux » avec « Les fleurs du bien », son album suivant. Quant à moi, ma curiosité et un certain côté masochiste me poussent à envisager un petit sondage : ai-je au moins réussi à vous convaincre d'écarter un instant vos idées reçues, histoire de jeter une oreille sur les compos ? Non ? Ah. Tant pis. No offense... Je m'en doutais un peu !