Nous sommes en 1992. Nous n’avions pas encore de poils au menton. Nous commencions à nous éveiller à la musique en nous échangeant des cassettes avec les copains à l’arrêt de bus : Iron Maiden, ACDC, Metallica, Nirvana, Guns and Roses, etc. De Trust, nous ne connaissions quasiment rien. Du décorticage de magazines tel que Hard Rock Magazine ou Hard Force, nous avions compris que Trust était un groupe français du début des années 80. Et puis un beau jour, nous allons chez le seul disquaire de notre petite ville et parmi la pléthore de chefs d’œuvre sortis cette année là, nous choisissons cet album. Il sera notre premier achat, notre premier CD, notre premier trésor, la première pierre de notre collection de disques, notre première claque séminale. Ce CD a longtemps tourné sur notre petite chaîne hi-fi. Nous l'avons poncé.

Les pistes de cette galette, sortie en 1992, ont été enregistrées durant la tournée Répression dans hexagone en 1980 (51 concerts en France en 67 jours (le groupe joue quasiment tous les soirs sans relâche)). Le groupe vient de sortir son deuxième album et est à l’apogée de ce qui sera une longue et triste carrière.

Bernie a 24 ans et déjà une calvace Nordwood 3 ou 4 et un futal moule poutre en latex. Certes ses textes ne sont pas du Baudelaire mais, après tout, ce n’est que du rock’roll. Surtout, ils sont engagés et un peu naïf comme peut l’être un jeune homme en colère à cet âge. Tout y passe : les collabos, les schmitts, les politicards de tout poil de droite comme de gauche, les professionnels du syndicalisme, les banlieues, la (non)pensée unique, les nouveaux riches m’as-tu-vu, les simps (Mateur), le capitalisme, le communisme, la condition ouvrière, les extrémistes musulmans, tout ça dans le désordre et en un joyeux foutoir foutraque pour finir en apothéose, comme une synthèse conclusive avec le bien nommé Antisocial. Quand on se rend compte que tout est pourri et médiocre, en bas comme en haut, on en vient vite à une sorte de misanthopie asociale ou antisociale.

Le grand mérite de Bernie est de chanter en français. Certes, cette musique est une importation anglo-saxonne, un soft power acculturant. D’un autre côté, nous avions en France une longue tradition de la chanson populaire et de qualité. Si les yankees et les rosbifs peuvent se contenter de « baby I love you », nous, français, avons toujours eu des aspirations et prétentions poétiques un peu plus élevées. La langue française est ainsi, synthèse germano-romaine, du sud et du nord, mélange de rigueur teutonne et de futilité latine, avec ce qu’elle implique en terme de pensée complexe car on pense avec des mots. Surtout, Trust délaisse la facilité pour un groupe de rock français de chanter en anglais des paroles connes que le public ne comprend pas. Dans un autre style, un peu plus tard, un autre groupe aura le talent de faire de même. Le succès de Noir Désir vient en partie de là : des textes français au niveau d’une musique aux codes anglo-saxons.

Et puis, il y a ce débit mitraillette de Bernie qui a tant de choses à dire, comme une prescience du rap à venir, cette façon de tutoyer le public, de l’invectiver, de le prendre à la gorge. Le groupe donne tout ce qu’il a. En face, le public se doit de faire de même.

Musicalement, on a là un cocktail molotov de punk-metal ultra-efficace. Surtout, ce qui saute aux oreilles à l’écoute de cette galette, c’est le jeu de batterie de Kevin Morris, intérimaire de luxe, futur Dr. Feelgood, qui pousse le groupe dans ses derniers retranchement.


Cet album est une tuerie de bout en bout.


La suite de l’histoire, comme bien souvent, sera d’une tristesse infinie. Entres splits et reformations, le groupe n’en finit par de mourir et de ternir sa légende. Bernie nous pondra encore un excellent film (Les démons de Jésus) où sa plume fera des étincelles. Le guitariste, Nono pour les intimes (en ces temps là, les gens s’appelaient Bernard, Norbert ou Yves) jouera un temps pour notre Jojo national. Il faut bien manger. Les légendes vieillissent mal.


Joe-Penhauer
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