S’il y a bien une qualité que même les plus furieux détracteurs de la réalisatrice Sofia Coppola (The Virgin Suicides, Marie-Antoinette) ne peuvent pas nier, c’est son bon goût en matière de musique. La fille de Francis Ford a développé une obsession pour l’ambient et la musique pop indépendante d’hier et d’aujourd’hui qui l’a poussée à disséminer dans ses films de très nombreux passages musicaux donnant un aspect de clips géants à ses œuvres, un peu comme dans les derniers films de Quentin Tarantino. D’où l’impression (qui est une hérésie pour tout cinéphile) que souvent, les scènes servent plus la musique que le film lui-même. Heureusement, chaque bande-son des films de Sofia Coppola est une merveille, des errances électro du groupe français Air pour Virgin Suicides (« Playground Love ») aux éclats post-punk raisonnant entre les murs de Versailles dans Marie-Antoinette.
Lost In Translation, le film, est un cas particulier car c’est tout simplement le chef d’oeuvre de son auteur. Non seulement parce que c’est le seul vrai bon film d’une réalisatrice qui se complait à tourner des films handicapés par un scénario au potentiel de divertissement approchant le néant mais aussi car c’est miraculeusement l’une des plus belles histoires d’amour que le cinéma ait offert. Un film et un miracle donc, car il est difficile d’expliquer ce qui fait ressortir Lost In Translation d’une filmographie en roue libre totale. Toujours cette mise en scène vaporeuse (on est à l’opposé de Kathryn Bigelow s’il fallait une comparaison), toujours ces personnages mélancoliques, toujours les mêmes thèmes de l’adolescence et de l’isolement. Et toujours cette bande-son impeccable…
On est en droit de se demander ce qui a forgé la culture musicale de la jeune Sofia pour qu’elle déniche des Graals pop comme ce « Kaze Wo Atsumete », délicat diamant folk du groupe japonais 70’s Happy End. Les plages d’ambient tels que « Fantino » de Sébastien Tellier (la french touch et Sofia Coppola, une grande histoire d’amour), l’onirique « Girls » de Death in Vegas, un mélange sublime de chœurs d’anges robotiques et d’arpèges électriques, ou « Alone In Kyoto » de Air sont loin d’être de fades plages musicales pour amateurs de yoga mais de vrais belles compositions aux arrangements fascinants. Quand aux morceaux provenant du registre pop, on enfile les perles ! « Sometimes » de My Bloody Valentine reste l’une des plus belles énigmes du rock 90’s : comment peut-on écrire une chanson si profondément triste et sensuelle à la fois ? Comment cet éternel feedback en fond sonore peut-il sonner de façon si douce ? « Too Young » fait partie de ce que Phoenix a produit de mieux dans une discographie qui compte pourtant un nombre irraisonnable de grandes chansons tandis que « Just Like Honey » de Jesus And Mary Chain, morceau culte d’un groupe non moins culte reste un classique révolutionnaire et éternel, sorte de grand frère au « Sometimes » cité plus tôt et un des cinq meilleurs titres rock des années 80. Kevin Shields, leader de My Bloody Valentine, apporte aussi une belle contribution à l’album avec pas moins de quatre morceaux originaux dont le single « City Girl » et le très bel instrumental « Ikebana ».
Au final, non seulement cet album est une superbe collection de chansons mais la bande-son qu’il constitue, rêveuse et doucement déprimée, colle parfaitement à cette rencontre cinématographique entre deux paumés (Bill Murray, clown triste malgré lui, et Scarlett Johansson, beauté sans pareille) dans un monde perçu comme à peine réel, ce Japon intriguant et déroutant, monde nouveau, Orient occidentalisé qui n’aurait pas encore perdu toute sa pureté et donc sa poésie. Poésie étrangère et « perdue dans la traduction » que ces deux personnages esseulés et perdus peinent à déceler mais qu’ils trouveront finalement l’un grâce à l’autre dans cette singulière mais inoubliable histoire d’amour.
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