Depuis quelques années, les critiques des albums de Placebo commencent et se concluent toutes de la même façon, dont voici le résumé succinct : p*tain, c’était mieux avant. C’est comme si on reprochait à ce groupe d’avoir tout simplement évolué. A leur apparition, il y a de cela plus de quinze ans, Placebo s’était en effet attiré les faveurs de la presse spécialisée et des fans de rock indé, en grande partie parce qu’ils ressuscitaient pour la énième fois le mythe du "sexe, drugs and rock’n’roll". Peu importe si Molko avait tout du petit con prétentieux shooté à la coke, s’il donnait l’impression de baiser du matin au soir des filles à peine majeures tout aussi camées que lui… Au moins, il l’entretenait, ce mythe, et ça suffisait amplement à certains. Pour ma part, je détestais Placebo à l’époque, je les trouvais impudiques jusqu’à l’écoeurement. Quant à la tranche bobo-trash de leurs admirateurs… Pas mon monde.
Avec le recul, je dois avouer que leurs premiers disques restent bons… Le problème, c’est que je haïssais tellement l’image caricaturale qu’ils renvoyaient que cela m’empêchait de m’intéresser à leurs travaux. Barrière qui n’existe plus aujourd’hui, car oui, Placebo a bel et bien changé depuis, et c’est justement ce que beaucoup de gens n’arrivent pas à admettre. Ceux-ci avaient déjà eu du mal à accepter l’atmosphère un peu plus calme de "Sleeping With Ghosts" (pas terrible dans l’ensemble, c’est clair), mais c’est avec "Meds" que le divorce a vraiment eu lieu… Quant à moi, c’est ce même "Meds" qui m’a permis, au contraire, de m’imprégner définitivement de leur univers. Comme quoi, tout se tient.
Cette longue introduction pour dire que depuis ce temps, nous avons affaire à un groupe plus adulte, qui a étoffé ses sonorités et qui maîtrise vraiment son sujet. Et s’ils ne sont plus aussi subversifs qu’avant, je ne suis pas certain qu’ils aient perdu en puissance comme on peut le lire parfois : ils accordent simplement davantage de place à l’émotion maintenant, mais quand ils le veulent, ils sont encore tout à fait qualifiés pour envoyer la sauce (citons ici pour l’exemple "Rob the bank" ou "Exit wounds"). "Loud Like Love" confirme que Placebo est une valeur sûre du rock alternatif : ils savent rester relativement accessibles sans se renier. Preuve qu’ils sont loin d’être à la ramasse, le premier single de cet opus, "Too many friends", a tout pour devenir l’un des morceaux de l’année ; il cumule mélodie entêtante, rythme burné et texte lucide sur le sentiment profond de solitude que peuvent causer… les réseaux sociaux. A l’heure où il apparaît très clairement que le monde entier a davantage les yeux tournés vers le dernier smartphone à la mode que vers l’avenir (qu’il soit politique, social ou écologique), c’est carrément être rebelle que d’opter pour ce contre-pied.
"Loud Like Love" sait donc être énergique lorsqu’il le faut, et reste dans l’ensemble un disque alternant moments de calme et de tempête. Car depuis "Meds", il faut avouer que c’est un peu ça, la marque de fabrique du groupe. Le rythme de leurs chansons est souvent progressif, ça commence calmement, avec une volonté de finir dans une apothéose de guitares et de batterie (voir le titre éponyme). Pour ma part, ils arrivent encore à me surprendre, comme par exemple sur la dernière minute de "Scene of the crime" qui met en avant des sonorités assez inhabituelles chez eux. Même constat avec "Hold on to me" et son "chant parlé" pas très courant chez Molko. Mais là où je suis le plus scié, en réalité, c’est quand je m’aperçois que pour ce qui est de nous faire chialer, ils savent vraiment s’y prendre… Pas mal pour un groupe dont la réputation s’est forgée sur des riffs excités ! Si je ne fais pas forcément partie des adorateurs de "Bosco" (les violons, faut pas exagérer, sans compter le texte un tantinet ridicule), j’ai tout de suite tilté sur la subtilité de "Begin the end", sorte de berceuse pour amants désunis, et surtout sur le potentiel lacrymal de la sublime "A million little pieces". Deux morceaux où l’interprétation du chanteur frôle l’exception, soutenue par des mélodies à tomber.
Voilà, je crois que c’est assez clair… Je ne vois pas tellement ce qu’on peut reprocher à cet album, même si un ou deux titres sont un peu en dessous du lot (le moins bon à mon sens étant "Exit wounds"). Ah si tiens, j’ai trouvé : il concourt pour l’artwork le plus laid de l’année ou quoi ?