Voilà un disque étrange. Pétris de mysticisme et unis musicalement sous la houlette d'un même gourou, Sri Chimnoy, John McLaughlin et Carlos Santana décident de livrer un hommage jazz-rock flamboyant à John Coltrane, source inépuisable d'admiration et d'inspiration. Je crois qu'à l'époque ce genre de projet bien casse-gueule a été boudé par un peu tout le monde. Les fans de jazz-rock (qui ne devaient y voir là que jams interminables), les fans de Coltrane (qui ne devaient y voir là que jams interminables), les fans de Carlos et John (qui ne devaient y voir là que....).
Bon, bref, hem, tousse.
Mais le temps a passé et de l'eau a coulé sous les ponts, révélant toujours avec le recul des oeuvres qu'on avait parfois un peu trop vite oubliées, à tort ou à raison.
Et même bien qu'imparfait, Love Devotion Surrender se révèle une belle prise de risque, souvent fascinant, voire assez attachant.
La reprise de A love supreme en première piste a déjà de quoi surprendre et première surprise, justement, ça passe très bien. Les deux compères évitent d'en faire trop. Mieux, avec Larry Young en organiste qui lie d'emblée le tout, ça passe comme une lettre à la poste. Fluidité est le maître mot d'un disque qui touche souvent la grâce. Sur la reprise de Naima, cette fois on reste en accoustique, seuls les deux guitares de Carlos et John se répondent.
Le gros "morceau qui tue", c'est The love Divine, titre original de près de 9mn où cette fois l'anglais et le latino unissent leurs forces tour à tour entre puissance brute, planant, solos foudroyants de guitare où la rythmique basse-batterie et orgue fait office de combo comme dans le jazz. Excepté qu'ici les deux guitares rugissent monstrueusement d'emblée. Et n'oublions pas "the love divine" répété en boucle transe comme "A love surpreme" était chantonné. Le genre de titre où l'on vient se ressourcer avant de repartir à l'attaque. Une telle puissance de feu, sans jamais faiblir et où la technique brute de McLaughlin rencontre la séduction chaleureuse de Santana, c'est fabuleux.
"Let Us Go Into the House of the Lord" est l'autre gros morceau du disque (15mn), probablement plus proche pour le coup du Mahavishnu Orchestra que d'une collaboration à deux. Surtout ce long morceau arrive après les excellentes reprises Coltraniennes pleines de finesse et The life divine furieux, quitte du coup à faire un peu redite, voire abrupt à digérer. Pourtant il s'agit là aussi d'un morceau proche de l'univers Coltranien (initialement écrit par Pharoah Sanders je crois) et à nouveau un bon titre. Mais curieusement plus faible après tout ce qui a précédé. Carlos laisse effleurer un peu ici sa patte personnelle latino (ah les congas) plutôt que d'essayer de faire jeu égal avec son comparse britannique.
L'album se termine par "meditation", instrumental accoustique à nouveau à 2 guitares, écrit par McLaughlin, et que je subodore de faire référence aussi bien à la méditation prônée par leur cher gourou, que celle développée par Coltrane musicalement et spirituellement. C'est là aussi un très beau titre qui n'a pas à rougir.
En somme c'est curieusement le plus long titre qui traîne un peu et empêche le disque d'accéder à une certaine perfection jazz-rock pour ma part. Sinon ça reste du gros morceau qu'on réévalue de plus en plus et porté en cela par de très bonnes compositions qui permettent à la fois d'entrevoir la musique de John Coltrane sous un nouvel angle, comme de savourer une collaboration a quatre mains des plus réussies entre deux musiciens aux univers pourtant pas si rapprochés.