L’histoire est remplie de rendez-vous manqués avec le succès. Parfois, c’est compréhensible mais à d’autres moments, ça l’est beaucoup moins. Kitchens of Distinction mérite pourtant mieux qu’une vague reconnaissance de vieux fans ayant connu le groupe de son vivant.
Est-ce parce que leur parcours est un mélange d’éléments contradictoires ? Tiraillés entre leurs influences 80s (le post-punk de The Chameleons et la jangle pop des Smiths) et leur son avant-gardiste à cette époque (ils sont l’un des plus anciens groupes du shoegaze), ils se sont toujours maintenu dans un entre deux en pleine période de transition. Ce qui pouvait aussi bien séduire du monde que d’en laisser beaucoup sur le carreau.
Ou bien est-ce pour des raisons extra-musicales ? Leur chanteur Patrick Fitzgerald s’étant toujours revendiqué comme gay (ce qui va, inévitablement, augmenter leur côte de sympathie auprès de la communauté homosexuelle), le genre de déclaration peu courante dans le monde de l’indie encore sous le joug du thatchérisme (la pochette dissipe en plus tous les doutes avec sa parodie de propagande communiste pro-gay).
On aura beau démêler toutes ces informations, on ne le saura jamais. Car à défaut de les considérer comme un des meilleurs éléments de la scène shoegazing, il s’agissait d’une des bandes les plus reconnaissables du style. Une collision harmonieuse entre le rock glacial des années 1980 et les guitares bouillonnantes des années 1990.
L’introduction « In a Cave » illustre merveilleusement ce son très personnel. Une basse profonde, un chant engagé et prenant, mais également des guitares denses tout en étant aériennes. Un premier morceau impressionnant mais qui est aussi le meilleur de ce premier effort. Love Is Hell rassemble toutes les caractéristiques du premier disque : il est produit de manière sommaire, le jeu des musiciens est encore un peu hésitant par instant et Fitzgerald chante souvent faux ! Ce qui peut être gênant au départ. Pourtant, ce défaut est partiellement compensé par la passion qu’il injecte dans ses vocaux.
Néanmoins, il faut admettre qu’il y a des très bonnes choses là-dedans. « The 3rd Time We Opened the Capsule » est un single au refrain inoubliable, « Prize » pourrait être une excellente version shoegaze d’une chanson de R.E.M. et « Hammer » est une conclusion au poil. Une outro magique où un flot de guitares saturées nous transportent dans un monde féerique malgré ces dissonances.
Le trio a encore de la marge pour s’améliorer. La faute à quelques chansons médiocres (« Courage, Mother » et « Mainly Mornings ») qui ne décollent pas vraiment et « Shiver » possède un refrain vite éreintant, hélas, en dépit de ses superbes vagues de guitares. Cela sera fait les doigts dans le nez par la suite. En attendant, cette sortie attirera l’attention de quelques journalistes dont certains qui en feront un album incontournable au même titre que le premier jet des Stone Roses !
Une exagération qui prête à sourire aujourd’hui, mais qui fera surtout du mal à l’avenir de Kitchens of Distinction. Tant ce qu’ils composeront plus tard sera encore plus enthousiasmant mais qui aura aussi le malheur de paraitre dans une ère où le terme shoegaze n’était plus synonyme de nouveauté, mais de musique infâme et incompréhensible...
Chronique consultable sur Forces Parallèles.