Plus tard, par émoussement de l'esprit, j'ai appris à me rallier au consensus des images que l'on associe à Loveless. Des images chaudes, du magma, celui des guitares qui phagocytent tout le reste, les mélodies simples qu'on excave laborieusement, les voix qui fondent, le son épais qui croustille. Plus tard. Mais mon Loveless à moi, pas celui des autres, le mien, il a pris une toute autre teinte, à rendre confortable le gel.
Je l'ai lancé pour la première fois un vendredi soir qu'il avait neigé, et que je partais à pieds, rejoindre un couple d'amis qui était sorti avec une paire de ski. Rendez-vous au milieu de la voie rapide qui sépare le Petit Clamart du bas-de-Clamart, et qui mène dans le bois. Bingo, ils ont aussi ramené une luge. Mais ce qui nous intéresse se passe avant, sur la longue route qui me sépare du point de rendez-vous. "Only Shallow" se lance, avec son gros riff distordu, et lorsque c'est "Loomer" qui arrive, la musique a pris la teinte de la neige. Ce son écrasant est celui du froid qui mord mes joues, l'épaisseur, le croustillant est celui de mes pas dans la neige. Les voix fondent, et la neige au diapason. Et ce formidable engourdissement, pesant, omniprésent, qui fait la beauté écrasante de cette musique, c'est celui de mes sens qui s'ankylosent doucement au rythme de mes pas. Loveless pour moi, aura toujours cette teinte bleu-nuit, l'orange des lampadaires, et le blanc, tout ce blanc, n'en déplaise à sa pochette rose cramoisie et aux associations populaires. Et si le magma, ce fameux magma, aura fini par atteindre mon imaginaire épuisé, il restera toujours des traces de cette mélasse prodigieuse, mi neige mi boue, cette flotte qui me ralentissait en même temps que mes oreilles fondaient.
Et on a skié.