Sorti le 4 Novembre 1991 sur le label Creation, Loveless est le deuxième album du quartet Irlandais porté par le guitariste/chanteur/producteur Kevin Shields. Et s’il adoptaient dans leurs premiers albums, au milieu des années 80, un style plus proche du psychobilly, leur premier album, Isn’t Anything les voyaient s’orienter vers un style plus psychédélique, pop mais aussi assez bruyant et pas radin en effets guitaristiques. M’voyez c’que j’veux dire. Et la longue production de l’album augurait d’un travail d’orfèvre de la part de Shields, qui voulait accoucher d’un album tout à fait particulier.
Sa vision a probablement été respectée, puisque le groupe a été viré de Creation Records après la sortie de Loveless, puisque les ventes de l’album ne pouvaient absolument pas combler la dette du label. Et le groupe allait se séparer en 1997 (avant de se reformer en 2007 et le reste est une autre histoire toussa toussa). Mais qu’en est-il de cet album qui a failli tuer un groupe ?
C’est un album étrangement produit. Et ce n’est pas peu dire. Déjà, comparé aux albums précédents (et à l’album suivant, d’ailleurs), la batterie est peu existante, parfois réduite à une boucle (Soon) sinon totalement absente (Loomer), le batteur Colm O Ciosoig étant souffrant au moment de l’enregistrement et ne pouvant que peu jouer (il enregistra juste la boucle puis ils utilisèrent le sample pour le morceau entier). Il est advenu que quasiment toutes les parties de guitare et de basse ont été jouées par Kevin Shields en usant, pour la guitare, d’une technique nommée Glide, qui consiste a jouer son accord en ayant dans la main qui gratte le bras de vibrato, ce qui donne un son qui sonne légèrement faux. Ce son sera d’ailleurs la marque de fabrique du son de Loveless.
Finalement, les morceaux ne sont sûrement pas des chefs d’œuvre de composition, ils sont très simples, se déroulent normalement, les riffs se répètent et, plus que d’insérer les mélodies, c’est une ambiance qui est distillée dans l’album. Une ambiance sereine, finalement assez somnolente, mais qui envahit l’oreille. To Here Knows When en est un parfait exemple. Ça virevolte aux oreilles, alors que les samples de violon tournent presque au ralenti. Mais cet album reste puissant, c’est juste une puissance qui n’est pas agressive. Come in Alone est langoureux, au rythme appuyé, mais le son des guitares superposées et la voix éthérée de Bilinda Butcher rendent le morceau plus apaisé, lumineux presque.
Cependant, certains morceaux de Loveless peuvent être pêchus et rythmés, tout d’abord Only Shallow, un opener absolument dantesque qui ouvre avec une déflagration sonore qui s’évanouit pour les couplets ; Soon, qui a l’oscillation inverse, les couplets étant envahits des nappes guitaristiques tandis que le refrain instrumental reste clair avec ce motif de violon parfait, ou encore When You Sleep et ses voix superposées (il se trouve qu’à l’enregistrement, par frustration, Kevin Shields et Bilinda Butcher ont décidé de mettre toutes les prises vocales pour ce morceau) ou What You Want.
Mais la force principale de cet album est sa cohésion, même dans des morceaux moins conventionnels, comme Loomer, morceau sans batterie donc, Touched, collage expérimental réalisé entièrement par Colm O Ciosoig (sans l’aide de qui que ce soit) ou Sometimes, aux aspects de ballade acoustique plongée dans la distorsion. Loveless, s’il n’est pas un album concept, réussit à distiller une ambiance telle qu’il peut être presque considéré comme un seul bloc musical, plongé dans un univers sonore atypique qui a marqué, marque encore, et marquera.
Loveless est un indispensable du rock. Non seulement car il marque l’apogée de son genre, le shoegaze, et aussi de My Bloody Valentine mais aussi pour sa construction simple à la surface mais très complexe à l’intérieur. Même après plusieurs écoutes, il recèle encore moultes secrets fascinants.