L’apogée
Du grand art musicalement parlant, l’apogée d’un travail, et d’un amour pour la musique, j’adore cet album et pour moi en tant que batteur, les rythmiques sont superbes et certainement les meilleurs...
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le 12 juil. 2023
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Treize années s'écoulèrent entre la naissance de "Luv(sic) Pt. 1" et la publication de la sixième et dernière partie, "Luv(sic) Grand Finale", jusqu'à la publication en CD deux ans plus tard.
De 2000 à 2013, ce furent treize années de réunions et de séparations, chaque moitié travaillant à sa propre carrière et se réunissant de temps en temps, pour une raison ou pour une autre, continuant un travail qui ne semblait jamais vouloir se conclure.
L'un des deux sera rattrapé par les choses de la vie.
Et cela sera en 2010, quelques temps après le décès de Jun Seba dans un accident de voiture, que le manager de ce dernier trouva dans son portable un morceau titré "Luv(sic) Grand Finale", dénouement inattendu d'une œuvre qui était censée se terminer sur cinq morceaux. Conscient qu'il ne pouvait laisser tel travail rester inachevé, Shing02, aidé de Uyama Hiroto (fidèle comparse de Nujabes termina le mixage et mit un terme à la saga.
"No matter how slim the chances, once you meet the love of your life, you might just end up creating something that may outlast your lifetime…"
Dès lors ces mots prononcés dix ans auparavant prennent une teinte étrange dès que l'on se rend compte que par-delà la mort, Nujabes réussit à conclure ce qu'il avait commencé. L'amour dans Luv(sic) est avant tout celui de la musique. Un amour tellement puissant qu'il en devint la cause de l'immortalité de Nujabes. Huit ans après sa mort son œuvre est toujours aussi encensée, et Luv(sic) se tient comme pinnacle de celle-ci.
Le final est d'une sérénité absolue, "a cool ending to a story that ended so soon", comme si ce qui comptait vraiment était de terminer sur cet état d'esprit, si représentatif de la musique de Nujabes.
Certains disent que la véritable sérénité ne peut être trouvée que si l'on a d'abord souffert. La cinquième partie de l'œuvre en est le témoin. Ecrite en 2010, elle est l'hommage rendu par Shing02 à Jeff Resurrection, rappeur qui quitta la scène quelques mois avant Jun Seba, atteint par un cancer.
"Whether a tree lives to see the end of centuries
Or a random hand picks it instantly
Life is art, a miracle for all to see
I must tell you that you lived beautifully"
Malgré la douleur, il faut continuer à avancer. Et pendant un temps Luv(sic) se conclura sur ces paroles optimistes au milieu d'une douloureuse atmosphère. La mélodie contraste franchement avec les parties précédentes, bien que les prémisses étaient déjà visibles dans la partie précédente, qui fut conçue à peu près dans les mêmes temps.
La quatrième partie ne faillit d'ailleurs jamais voir le jour. Elle ne fut mise en place que sur invitation de Shing02, invitation qui ressemblait plus à un défi qu'autre chose. La trilogie Luv(sic) était déjà largement encensée. Mais Shing02 sentait que sa collaboration avec le DJ prodige ne pouvait s'arrêter là. Bien lui en a pris puisque Jun répondit à l'appel et lui envoya plusieurs beats sur lesquels travailler, donnant naissance à la "seconde trilogie Luv(sic)", celle de la "rencontre, de la séparation et de la réunion", comme l'exprima Jiro Fujita, responsable du design visuel de ces parties.
La troisième partie, certainement la plus célèbre, apparut sur "Modal Soul" (2005), second album de Nujabes. Extraite de son projet originel, elle n'eut aucun mal à se fondre dans l'ambiance de ce qui est généralement considéré comme le magnum opus de son créateur. Le caractère imparable de l'association cordes/piano se vit renforcée par la sensibilité que dégage la voix Shing02. Jun Seba ne pouvait laisser passer une telle opportunité, et choisit de ne pas sortir immédiatement le morceau en single pour le garder pour l'album. Shing02 n'avait pas encore terminé le troisième couplet, censé conclure l'association des deux précédents. Le morceau fut alors leaké sous sa version complète, ce qui déplut au producteur. Mais Shing02 finit par le convaincre du bienfait de l'action, car Luv(sic) était une saga qui motivait déjà un certain nombre de personnes depuis un moment, et il ne fallait pas les priver de l'accès à son contenu.
"See, every dream has a part two..."
Difficile de se dire que la seconde partie de Luv(sic) fut écrite juste après les évènements du 11 septembre. Prenant le contrepied de la vague de peur et de haine qui suivit l'évènement, Shing02 choisit encore une fois de prendre la vie en tangente, insistant sur sa relativité et le pouvoir guérisseur de la musique. Comment pourrait-on lui en vouloir ? A la noirceur du "profond sentiment d'incertitude" et au caractère inévitable des choses, Shing02 et Nujabes choisissent la lumière. Cette suite de Luv(sic) possède un caractère étrangement réjouissant qui ne sera pas repris par la suite, et qui n'était pas non plus présent dans l'introduction de la saga.
Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, la saga ne parle pas tant du sentiment dit-lovesick qui semble être la cause de tant de chansons dans le monde. Bien que la mélodie de la première partie, accords de piano mélancoliques délivrés sur un rythme entêtant, semble joindre la représentation que nous pouvons avoir de cette émotion, force est de constater que finalement le reste de la saga ne suivra pas le mouvement. Luv(sic) Pt. 1 concerne effectivement le caractère bien incertain de l'amour, mais l'amour de Shing02 pour la musique. Pensait-il que son souhait le plus cher, celui d'être en harmonie avec la déesse de la musique, allait prendre une telle forme des années plus tard ?
Si celui-ci ne savait pas forcément, à la fin de l'année 2000, vers où il se dirigeait, il souhaitait malgré tout construire quelque chose, quelque chose de personnel qui mettrait des mots (et des notes) sur ce qui ne pouvait être simplement décrit concernant sa relation avec la musique. Ainsi naquit la première partie de Luv(sic), sur invitation par e-mail de Jun Seba et après la découverte mutuelle du DJ et du rappeur, chacun de leur côté. Luv et pas Love, car donner sa propre version du mot revient à donner sa propre version de la chose. De la subjectivité naît alors l'émotion personnelle, le (sic) du titre, imperfection volontaire immortalisant la trace musicale laissée par Shing02 & Nujabes.
"After listening back to the song, I wasn’t sure about my delivery, but it didn’t really matter, either. I was living the moment."
Comme quoi tout était et n'était pas écrit. Avec sa philosophie de vie et son amitié pour Nujabes comme seuls fils conducteurs, les deux compères traverseront une décennie ensemble, sans nécessairement prévoir tout ce qui allait se passer, mais en faisant du mieux qu'ils pouvaient avec ce qu'ils avaient.
Prendre Luv(sic) à rebours, c'est comprendre rétroactivement l'impact de la vie. La saga n'a jamais été une œuvre dont la fin était prévue dès le début. Les choses de la vie intervinrent, et leur caractère incontrôlable ne fait qu'ajouter de la sincérité à une œuvre déjà bien chargée en émotions. Oui, on ne peut pas tout contrôler dans la vie, et encore moins dans l'amour. Cela nous tombe dessus, cela nous amène parfois là où on ne voulait pas, et sans le vouloir nous ne cessons de changer. Aucune des parties de Luv(sic) ne ressemble vraiment à une autre, et pourtant le tout est d'une homogénéité remarquable. Peut-être est-ce la preuve que ces deux esprits étaient faits pour s'allier. Ou peut-être pas.
On s'en fiche en fait, et il ne reste finalement que la musique comme cristallisation d'un moment de vie.
Source : Genius.com
Créée
le 9 févr. 2018
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