Nouvel album, préannonce nouvel effort, nouvelle dynamique, nouvel élan. Et nouvelle réussite, si on en croit le plaisir somatique provoqué par l’écoute du disque de GoGo Penguin, nommé philosophiquement Man Made Project.
Mes doigts énergiques consacrent leurs mouvements à battre une rythmique déconcertante d’imprévisibilité, et mon esprit se traîne à décrire, par la critique, les satisfactions ressenties à l’écoute du dernier opus du trio de Manchester. C’est de la virtuosité en décibel, cet album, et je dirais même, un recueil de mélodies, brindilles d’une flore artistique sans précédent. Chris Illingworth, impeccablement omniprésent au piano, présente une ode sereine au jazz contemporain et, par une technicité rigoureuse, rend accessible le genre aux plus démunis de l’ouïe. En témoigne Branches Break, très belle composition, fluide, rapide, rythmée par les coups abrasifs de Rob Turner et adoucie par la contre-basse de Nick Blacka.
On reconnait souvent un album à ses qualités. Je reconnais les meilleurs albums aux défauts qu’ils n’ont pas.
Pas de chichi, pas d’improvisation à rallonge, ni de démonstration. De l’instrumentale, mais sûrement pas un ennui froid, ni même un manque de cohérence. Pas un morceau ne déçoit, pas un instant musical n’éloigne, les repos sont suffisants, la dynamique est respectée, les temps morts sont plus vivants que jamais. Plus encore, cet LP nous montrent tout le pouvoir de composition des trois anglais, ainsi que la grandeur de leur complicité. Il suffit de les voir en live –dans une salle, sur internet, peu importe- pour s’en convaincre.
C’est un jazz jeune, résolument humble, efficace, qui cherche non pas à complaire, mais à transcender le public par des moments de grâce et de combativité incroyable. Unspeakable World, titre déconcertant – et tant mieux ! -, suscite l’admiration face à une écriture saine, dépourvue d’une trop grande et divagante ambition. A contre-courant des standards musicaux d’aujourd’hui, comme l’a toujours exigé le style pragmatique du jazz, le groupe virevolte, surprend, et réussi le pari de convertir à sa mélodie les goûts d’un large public naguère peu enclin à la digression musicale. Enfin… pas tous, c’est évident. Ce postulat strict se démentira chez ceux et celles dont les sympathiques phrasés de GoGo Pengouin n’auront que le goût d’une pop voilée, cachée et secrètement gardée. Un faux jazz ? Un quiproquo instrumental ? Je ne serais jamais de cet avis.
Manchester est la mère d’un groupe unique, à la patte délicate et retentissante, dont la beauté de l’œuvre méritera, dans les mois qui arrivent, une meilleure reconnaissance critique et public. Mercury Prize, vous dites ?