Les deux fines années qui séparent les deux albums “reggae” de Gainsbourg sont cruciales pour qui veut comprendre l’œuvre et le personnage. C’est entre ces deux disques somme toute assez semblables – ne serait-ce que par leur style musical très connoté – que la vie et l’image de l’artiste vont basculer de façon radicale. C’est entre 1979 et 1981 qu’ apparaîtra le tragique Gainsbarre, son Mister Hyde à lui (prophétisé dès 1966 dans la chanson Docteur Jekyll et Monsieur Hyde sortie en 45t EP et reprise en version reggae lors des concerts de 1980), révélé à ses yeux à la mi-septembre 1980, quand Jane Birkin, lassée des coups qu’elle prend dans la gueule (au propre et au figuré) et après douze années de vie commune, le quitte.
C’est en 1980 qu’il publie Evguenie Sokolov, conte parabolique en forme de bilan transitionnel, où s’expriment magistralement ses doutes, son désespoir, ses souffrances et ses frustrations. Après 1980, Gainsbourg ne sera plus le même. Il fera des excès un mode de vie, une image de marque facile et lamentable, néfaste à la qualité d’une œuvre dont on pourra tout juste sauver les fabuleux concerts au Casino de Paris et le « Baby alone in Babylone » qu’il écrira pour Jane en 1983.
1981 . Gainsbourg affecté, dépressif, cynique, va retrouver ses musiciens jamaïcains à Nassau, Bahamas, pour enregistrer son deuxième album reggae, dans un état d’esprit beaucoup moins primesautier que le premier.
L’amour perdu, le désespoir, la mort, la nostalgie sont au cœur de l’inspiration. Avec quelques petites potacheries au milieu (« Mickey Maousse, un gourdin dans sa housse et quand tu le secousses, il mousse »…ou les pétomaneries - assez hilarantes, avouons le- d’Evguenie Sokolov) histoire de dérider un peu l’atmosphère.
Ecce homo : l’affreux Gainsbarre, « cloué au mont du Golgothar, reggae hilare, le cœur percé de part en part ». Voici l’homme : tombé du mauvais côté du mur, les étoiles ne brillent plus que pour annoncer des mauvaises nouvelles.
Pathétique et très émouvant : la mélancolie habillée par le reggae (la nostalgie, camarade), ça donne quelque chose d’assez poignant, à l’image de la photo en noir et blanc sur la jaquette.
Moins commercial et plus introverti, le disque – accueilli à tort comme une resucée d’ « Aux armes etc… » - rencontrera beaucoup moins de succès que son prédécesseur.
C'est cependant mon préféré des deux.