Titre en hommage à la toute dernière chanson, apothéotique, de cet album.
Etant très loin d'être un fanatique du son de ces dernières décennies (comprenez, ce qu'on appelle "musique"), et en ayant une culture plus que parcellaire, "Messina" est à peu près le seul album au monde dont je perçoive qu'il y a effectivement un certain sens dans sa construction. D'ordinaire, je n'arrive pas à évaluer un album autrement qu'en faisant à peu près la moyenne de ses chansons, mais là, ça va plus loin. On sent le bateau prendre la mer, accoster, se fracasser contre les récifs, c'est ainsi.
Bref, introduction poussive.
Cette critique est un prétexte pour louer Saez, en fait. Je m'explique :
1) Je n'aime guère le Saez politique, je trouve que ses chansons "engagées", comme on dit, sont ce qu'il a de plus faible et de plus commun. En fait, pour tout dire, ça me désole un peu, d'autant que ça constitue une partie substantielle de son oeuvre.
2) Je doute que j'apprécierais humainement Saez. Il semble, dans ses chansons, être est aux antipodes de ce que j'apprécie. En fait, je crois surtout qu'on se mettrait mutuellement des claques, si on se connaissait^^.
3) Le Saez sentimental, oui. J'aime, j'adore. Mais bon, s'il n'y avait que ça, ce serait un vague chanteur pour midinettes au coeur malmené et fragile, désirant le ciel en aimant laisser perler leurs sanglots bouleversants (*sic*).
4) Mais surtout :
Saez n'est pas un chanteur, c'est un poète, un prophète, un voyant. Comme tous les génies, il dit beaucoup de c... bêtises sans le savoir, mais comme tous les génies, il dit aussi prodigieusement des choses prodigieuses, sans le savoir non plus (ou alors s'il le sait, c'est qu'il est moins génial que je le souhaiterais). Saez, c'est une esthétique qui remue l'âme, qui la lacère et la cogne, la caresse, la console et la frappe. Ceux qui disent "oui, ses textes sont bien, mais sa voix, quelle catastrophe !" sont des trolls. Je ne reviendrai pas là-dessus. La voix, comme les textes, font partie intégrante du tout qu'est la musique saezienne.
Saez nous emmène visiter les tréfonds de l'âme, du désespoir, de la haine, de l'animalité. C'est une mélancolie violente. Ardemment lucide, cruellement libre. "J'emmerde le monde et il me le rend bien"... renversement du "aide-toi, le ciel t'aidera". La poésie de Saez, c'est un crachat sirupeux, garanti sans arôme artificiel ni conservateur.
[phrase vide mais vraie pour contenter les amateurs de comparaison culturelle]Saez est évidemment l'héritier de Baudelaire, Rimbaud et Brel.[/phrase etc...]
Bon, si j'adorissime Saez, aussi, c'est peut-être parce qu'il est un peu le seul, dans le paysage "musical" français (je dirais mondial, mais je serais mauvaise langue par ignorance, et je ne veux pas encore m'attirer encore plus d'inimitiés que la schizophrénie "je te hais mais je t'aime" de cette critique ne m'a déjà gagnées). Attention, ça ne veut pas dire que ce soit une idole par défaut. Mais force est de reconnaître qu'il est isolé. Cela lui va bien, de toute manière, non ?
Malraux disait de Céline, je crois, que c'était "un sale type mais un grand écrivain". Je ne dirais pas de Saez que c'est un sale type (car j'ai au moins deux sous de moralité et que je ne jugerai pas un homme que je ne connais pas), néanmoins je dirai qu'a priori, au vu de ses chansons et de ce que j'ai entendu de lui, il n'a rien pour me plaire... mais c'est un génie poétique, et ça me suffit. Le seul qui mette quelque chose derrière ses notes, ses intonations, ses mots. Une foi l'habite. Peu m'importe quelle elle est, on sent la vie chez Saez. Fût-elle malade, triste, grinçante, sombre, elle existe. Le feu est noir, mais le feu est.
Pour en revenir à l'album Messina, c'est une sorte d'illustration de ce que je dis. Saez nous emmène dans une mer salée, tumultueuse, écumeuse, dans les quartiers rouges des ports les plus glauques et les plus humains, sur les ponts les plus submergés par l'océan en furie et où l'on voit les coques grincer, où l'on entend les mâts brisés, où l'on sent les voiles déchirées. "O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !". Rimbaud est omniprésent dans cet album.
Messina c'est la mer de notre âme, le port de notre âme, le silence de notre âme.
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