Metal Machine Music
4.5
Metal Machine Music

Album de Lou Reed (1975)

Comme je vous comprends.


Dans l'hypothèse effarante où vous ne pourriez emmener qu'un seul et unique disque sur la fameuse île déserte, il est vraisemblable que le Metal Machine Music de Lou Reed n'entre pas dans vos priorités. Logique : qui aurait envie de se farcir les myosotis pour le restant de sa vie avec 64 minutes (et 4 secondes) de feedbacks et de bruits blancs ? Car c'est très exactement ce que contient ce « disque »...


Mais imaginez, pauvres de vous, que, par une soudaine et cruelle bifurcation du destin, les choses en viennent au point où vous n'ayez pas d'autre possibilité, ou, mieux encore, que suite à une obscure malédiction qui frappe votre lignée depuis des temps immémoriaux, un démon sadique vous contraigne au dilemme consistant à choisir entre cet album inécoutable et n'importe quel disque pourrave de n'importe quel groupe pourrave — mettons, le dernier CD du Zizi Band (oui, ça existe) —, renonceriez-vous encore à la chose qu'a exsudée le cerveau pervers d'un Lou Reed cramant ses derniers neurones dans une ultime provocation punk ?


Zizi Band versus Metal Truc Machin.


Alors, on fait moins les marioles ? Avouez. Toutefois, au terme de quel raisonnement saugrenu pourriez-vous décider in fine de trancher ce dilemme hardcore en faveur de l'inénarrable Zizi Band ? Car il faut choisir. Peut-être, vaincu et résigné, tenteriez-vous désespérément de vous convaincre qu'avec le temps vous finirez bel et bien par entrevoir quelque intérêt à leur CD, ou que, faisant abstraction des paroles ineptes de leurs chansons grotesques, certains passages, ici ou là, pourraient à la longue, et après moult efforts, commencer à éveiller en vous le souvenir ému des musiques que vous avez jadis aimées au plus haut point.


Je vois ça d'ici. Vous, seul sur votre île, face à l'océan immense, vibrant d'une authentique émotion musicale, à deux doigts de l'extase... en écoutant le Zizi Band. Comment en êtes-vous arrivés là ? Il y a des degrés de déchéance que le sens de l'honneur et de la dignité ne saurait supporter longtemps sans dommage irréversible pour la psyché humaine. Nom d'un chien : n'eut-il pas été infiniment plus classe de vivre ce moment grandiose en compagnie de Lou Reed ? Voilà qui aurait eu de la gueule. Mais en admettant que vous acceptiez de prendre une autre décision, serez-vous assez fort pour relever le défi, faire de nécessité vertu et réussir l'exploit d'aimer ce double album conçu de part en part pour ne pas l'être ?


On connaît l'histoire : durant l'année 1975, Lou Reed, en plein trip seul-contre-tous, décide de placer deux guitares entre les baffles de sa sono et de pousser tous les potards à donf. Résultat : 4 plages de purs larsens, chacune de 16 minutes et une seconde (!). Le tout accompagné de notes de pochette d'une prétention vertigineuse. Bien sûr, l'album s'est fait déniaper par la critique (suicide commercial, foutage de gueule, canular pas drôle, etc.) et, hormis notre bon Lester Bangs (qui poussa l'humour jusqu'à parler de « plus grand disque jamais enregistré »), il ne s'est trouvé personne pour le défendre. Aujourd'hui, quelques âmes bien intentionnées voient en lui un digne précurseur du noise et du rock bruitiste. Et vous ?


Le fait est que, en tant qu'« œuvre musicale », Metal Trucmuche Zizic ne vaut pas tripette. Même d'un point de vue expérimental, il y a nettement plus stimulant (chez des musiciens comme Sun Ra, Archie Shepp, etc.). En revanche, en tant que « geste artistique », c'est sans aucun doute l'un des plus beaux FUCK adressé à tout le business de l'industrie musicale et à toute la production rock de l'époque, qui connait alors un net ramollissement et dont le punk secouera vigoureusement les synapses l'année suivante. Au fond, Lou Reed n'a-t-il pas commis un geste conceptuel du même acabit que le célèbre 4'33" de John Cage ? Or, si ce dernier peut faire figure de « carré blanc sur fond blanc » de l'avant-garde musicale, ne faut-il pas voir dans Metal Bidule Music le « carré noir sur fond noir » du rock 'n' roll ?


Il n'est sans doute pas inutile de rappeler à ce propos que toute œuvre d'art prend son sens, en grande partie, dans le dialogue qu'elle instaure avec les autres œuvres du même contexte historique et culturel. On peut bien canarder tant qu'on veut sur 4'33" (à juste titre), il reste que cette plage de silence apparaît aussi comme une réponse cinglante à la sophistication de plus en plus poussée des compositions dodécaphoniques de l'après guerre et, plus précisément, des œuvres qui relèvent de la grammaire du sérialisme intégral (Pierre Boulez en tête) — sans même parler de la rivalité larvée entre l'Amérique et la vieille Europe. En un sens, et à un premier niveau de lecture, il semble légitime de percevoir dans 4'33" un simple et radical : « vos gueules ! ». De même que (puisqu'on en est à papoter sur ces œuvres extrêmes) l'illustre urinoir de Marcel Duchamp (Fontaine) pouvait se comprendre comme un geste punk avant l'heure qui ne disait d'abord rien d'autre que quelque chose du genre : « je vous pisse dessus »...


Bref, il serait judicieux de ne pas aller trop vite en besogne. Oh, certes, on ne vous vendra pas Metal Meta Zicmu comme un chef d'œuvre. Ce n'est peut-être même pas une œuvre — plutôt un geste. Mais comment ne pas se réjouir qu'un tel bazar existe ? Juste « existe ». Et puisque ce disque mérite légitimement et sans conteste chacune des notes comprises entre 0 et 10 — les chiffres négatifs étant réservés au Zizi Band —, autant voir les choses en grand et lui attribuer la note maximale, pour sa perfection gestuelle et le formidable éclat de rire qu'elle appelle irrésistiblement.


Après tout, sur votre île déserte, personne ne vous force à l'écouter.


Zizi Band :
http://www.deezer.com/artist/148543


Metal Machine Music :
https://www.youtube.com/results?search_query=metal+machine+music

Pheroe
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le 3 mai 2015

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Pheroe

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