Drum'n'pop
Il aura fallu cinq ans à l'insaisissable Grimes pour digérer pleinement le grand succès d'estime coup sur coup de ses deux derniers albums et ressortir du bois avec un nouveau projet. Un laps de...
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le 9 janv. 2020
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Évacuons d’emblée les encombrants détails people : oui, Grimes, alias Claire Boucher, est maquée avec le gourou de la nouvelle technologie Elon Musk. Moi non plus, je n’ai pas compris comment une icône indie à moitié barrée (il faut l’entendre s’exprimer en interview, soit elle est timide, soit il y a un peu trop de monde dans sa caboche) a pu avoir un "crush" avec un entrepreneur polémique à la vision tournée vers l’avenir (ses prises de position sur l’intelligence artificielle) mais aux valeurs guère humanistes (il a obligé ses employés à venir travailler sur place malgré le confinement mondial dans un premier temps).
L’amour ayant ses raisons que la raison ignore, je serais bien mal placé pour juger cette relation. Et puis, ne dit-on pas que les contraires s’attirent ?
Pourquoi est-ce que j’insiste autant sur ce détail qui n’a rien à voir avec la musique ? Parce qu’il semblerait que beaucoup de monde ne soit plus capable d’en faire abstraction pour parler de musique. Hélas, cela me pousse également à tomber dans ce travers. Néanmoins, quand je constate qu’on est devenu trop bêtes pour séparer la personne de l’artiste, c’est qu’il faut en remettre une couche.
Tout comme Art Angels s’était fait huer pour de mauvaises raisons (heureusement, réhabilité depuis, le temps a fait son œuvre), Miss Anthropocene subit le même genre de courroux. Ce qui tombe à pic car, comme le précédent disque, il est absolument remarquable. Grimes reste cet improbable mélange entre des influences "nobles" et mainstream à outrance. Une mixture bien plus enthousiasmante que le revivalisme soporifique ou un fatiguant modernisme destiné à se faner avec le temps.
Sauf que ce nouvel album n’est pas vraiment dans la lignée de l’opus à la pochette colorée et hideuse.
Lorsqu’on constate le délai de sortie entre les deux disques, on devine qu’une remise en question a eu lieu. Art Angels avait poussé le curseur radiophonique plus loin même s’il n’a pas remporté de succès grand public. La tentation de tomber dans le chaudron mainstream (quitte à gommer toute trace de caractère) ou de revenir aux racines de sa carrière était tentant. Pas bête, la petite Canadienne a déjoué nos (et mes) attentes en conservant ses acquis tout en voguant vers d’autres horizons.
Les acquis, c’est ce songwriting affûté depuis Visions et cette maîtrise de la production qui fait que les arrangements restent surprenants tout en étant efficaces. Les autres horizons, c’est l’ambiance, l’atmosphère. Il se passe quelque chose chez la Miss cyberpunkmanga. Fini les délires bariolés et funs, place à un climat sombre déstabilisant.
Dès l’imposant « So Heavy I Fell Through the Earth » (tout est dans le titre), ce n’est plus la même histoire qu’avant. C’est beau, c’est planant mais c’est également tragique. Ça sent la déprime et ça ne s’arrange pas avec le chaotique « Darkseid ». Sorte de rap malade composé par des geishas cybernétiques. Même l’ultra-dansant « Violence » (attention, gros tube) te plonge dans une boîte de nuit malfamée uniquement peuplée de gens fringués en cuir comme dans Matrix. « Delete Forever », sous ses airs de Natalie Imbruglia sous Xanax, a de quoi donner le cafard. Même si l’accord est chipé au Wonderwall d’Oasis (qui s’inspirait de Gainsbourg donc qu’on ne vienne pas me casser les pieds, surtout que la version de Grimes n’a pas à en rougir).
Quant à « My Name Is Dark », c’est le post-punk de la génération Y. Même constat avec « You'll Miss Me When I'm Not Around » qui fusionne ligne de basse à la Joy Division et pop R&B de haute tenue. C’est peut-être déconcertant sur le papier, mais ça fonctionne du feu de Dieu en vrai.
Si certains titres sont moins bons que d’autres (seulement « Before the Fever » qui mise plus sur sa production mastoc que sur sa mélodie), l’homogénéité qualitative est de mise malgré une variété prononcée des styles explorés (on a même droit à la drum and bass de l’orientalisant « 4ÆM »). Et si la tonalité sombre et plus électronique peut rendre cet opus moins immédiat qu’Art Angels, vous allez rapidement vous apercevoir que le tout se révèle addictif pour peu qu’on soit un minimum réceptif à cette étrange électro-pop.
Dernier petit détail à signaler : le thème principal des textes. Miss Anthropocene ayant pour ambition d’aborder le futur de l’humanité. Que ce soit avec l’avènement des I.A., l’environnement déclinant et le transhumanisme. Un concept totalement fumeux mais parfaitement en adéquation avec la période pleine d’incertitude que nous traversons depuis déjà trop longtemps.
Cependant, je vous rassure, vous pouvez apprécier cette musique sans vous en soucier le moins du monde, même si elle faisait office de parfaite bande-son au climat anxiogène que nous avons tous subi durant le confinement.
Toutefois, maintenant que les portes des domiciles sont de nouveau ouvertes et que le soleil repointe le bout de son nez, vous pouvez toujours assombrir un coin du ciel d’été avec cette sortie.
A vos risques et périls, bien entendu.
Chronique consultable sur Forces Parallèles..
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le 26 juin 2020
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