Rien de plus cruel que 86 pour les "dinosaures" du rock. C'est le moment choisi par la plupart des anciennes gloires sixties pour sortir le pire album de leur discographie : le Knocked Out Loaded de Dylan, le Press to Play de McCartney, le Landing On Water de Neil Young, le Blah-Blah-Blah d'Iggy Pop... la liste est longue. Bizarrement, Lou Reed sort de cette année sombre avec dignité. Là où ses camarades ont essayés en vain de sonner comme leur époque, d'être "dans le coup" à grands renforts de mauvais goût, le new-yorkais a préféré s'en tenir à la formule habituelle.
Au-delà de sa pochette, Mistrial est une modeste réussite. Oh, il est décevant bien sûr, surtout après avoir enchaîné trois albums très solides. Il manque de grandes chansons, abuse de boite à rythme et souffre d'une production assurée par un Fernando Saunders meilleur guitariste que mixeur. Lui aussi n'a pas pu résister à l'appel des ordinateurs et d'un son passé à la moulinette des logiciels. Lui aussi a osé le clip animatronique tape-à-l'oeil et les couleurs flashy. Mais soyons franc, le résultat est tout à fait écoutable, contient quelques bons riffs ("Spit It Out", "Mistrial"), une bonne dose d'humour ("No Money Down"), de belles ballades eighties ("I Remember You", "Tell it To Your Heart") et même une improbable tentative de hip-hop (le single "The Original Wrapper").
Pas la meilleure porte d'entrée pour découvrir l'artiste mais les convertis ne bouderont pas leur plaisir. La dose de provocation nonchalante est suffisante pour faire de Mistrial un bon petit Lou Reed. En 86, ça relève de l'exploit.