Nous sommes mi 2012 et Robert Smith vient de l’annoncer : il y aura un « Mixed up 2 » avant la fin de l’année. Diable, cet homme n’a décidément plus peur de rien. Il en faut en effet du courage – un courage qui confine à l’inconscience – pour oser rééditer une erreur quand on sait qu’on l’a faite. Et cette erreur c’était « Mixed up », premier du nom.
Retour en 1990. Les Cure sont vidés : la conception du chef-d’œuvre « Disintegration » fut intense, la tournée qui suivit aussi (plus de 70 dates). Il est encore trop tôt pour eux pour songer à enregistrer leur futur album, dont ils n’ont pas encore défini l’identité musicale. Les premières séances d’enregistrement de la décennie n’aboutissent donc pas à grand-chose, si ce n’est à la sortie d’un single un peu bâtard et pas plus intéressant que ça, « Never enough ». En face B, on retrouve « Harold and Joe », un morceau tout aussi anecdotique mais encore plus bizarre, parce qu’il s’éloigne assez radicalement de ce que proposait le groupe jusqu’à présent, intégrant une ligne de chant surprenante et une rythmique dance assez bancale. Anecdotique certes, mais aussi symptomatique de l’état d’esprit de Smith à l’époque, qui souhaitait s’initier aux nouvelles technologies de studio.
C’est sans doute comme cela que naîtra l’idée de « Mixed up », sorte de greatest hits qui aurait tourné au vinaigre. S’y côtoient, dans un ordre improbable et en mode « extended », une pelletée de singles remixés à la sauce Cure (une sauce tout aussi indigeste que la pochette du disque). La formation n’en est pourtant pas à son coup d’essai concernant les remixes, certains s’étant même révélés très bons par le passé (le « Red mix » de « Primary », les versions longues de « Just one kiss » et « A japanese dream »…) ; le problème, c’est que là ça sent trop la déconne à plein tubes et la solution de facilité, et c’est même pleinement assumé. Dans le livret figure une citation de Jules Renard allant dans ce sens : « Cherchez le ridicule dans toute chose, et vous le trouverez ».
On a beau être prévenu, il faudra une grosse dose de LSD, euh, de second degré, pour adhérer à ce trip inutile. Sur les onze titres, trois seulement mériteront qu’on y jette une oreille bienveillante : le « Tree mix » de « A forest » (une chanson tellement importante pour Robert Smith qu’il n’est pas assez fou pour la massacrer), le « Everything mix » de « The walk » (quand un morceau possède déjà une base un peu électronique, c’est toujours plus facile d’en faire un bon remix) et l’extended de « Fascination street » (qui, malgré une intro crispante, finit par fonctionner, en grande partie parce que « Fascination street » est à la base un chef-d’œuvre).
Et puis il y a le reste, et ça se complique grandement, car le principal problème de ce disque saute alors littéralement aux yeux. En effet, un single qui fonctionne bien sur trois minutes peut, croyez-moi, devenir une vraie calamité quand on double sa durée et qu’on essaye d’en faire quelque chose de vaguement dansant. Pourquoi cette volonté d’étirer à tout prix, jusqu’à franchir les limites du bon goût musical ? Allez savoir ! Quoi qu’il en soit, chaque titre se voit augmenté de plages instrumentales douteuses qui cassent totalement le rythme et les rendent sacrément pénibles (« Pictures of you », « Hot hot hot !!! », « Never enough »). « Close to me », dans sa nouvelle mouture plus exotique, semble nous parvenir d’un aquarium aseptisé ; quant à « Lovesong », on jurerait que les types, derrière leur console, se sont contentés de coller le morceau d’origine et de le dupliquer pour qu’il soit juste plus… long. Pour le coup, rien de très original, et l’on atteint ici le summum du remplissage qui sert à rien. Nada. Peanuts. Game over.
En fait non, autant pour moi, la fin de partie arrive maintenant… Parce qu’il y a pire que tout ça, si si, je vous assure ! Il est déjà assez remarquable de parvenir à écouter les ¾ de « Mixed up » sans arborer un regard vitreux ou s’énerver, mais voilà que, comme pour nous remercier d’avoir tenu si longtemps (ou plutôt nous achever), on enchaîne, en neuvième et dixième position, les deux pires remixes de l’album, qui sont d’ailleurs, soyons franc, les pires de toute la carrière des Cure. « The caterpillar » et « Inbetween days », de bons titres au demeurant, se voient donc affublés respectivement d’un « Flicker mix » et d’un « Shiver mix » qui, effectivement, ont de quoi faire frissonner n’importe quel fan digne de ce nom. Comment exprimer le désarroi qui vous frappera si vous décidez un jour (mais je ne vous le conseille pas) de les écouter ? C’est juste une véritable boucherie à coup d’overdubs, où le groupe tente de réinventer ses chansons mais ne réussit qu’à provoquer un monstrueux naufrage créatif. Même le nightclub le plus ringard n’oserait pas diffuser ça… Enfin, j’espère.
Conclusion : si l’on peut reconnaître que Smith et sa bande avaient bien senti le vent tourner au début des années 90 en proposant un mélange de rock et de dance (qui seront les courants musicaux majeurs de cette décennie), on ne retiendra malheureusement pas grand chose de positif de ce « Mixed up », qui a tout de ces recettes de cuisine qu’on essaye pour le fun mais qui vous pèsent pendant deux jours sur l’estomac, et qui n’était pas franchement nécessaire à un groupe en pleine gloire. Cette compil’ electro se fera fustiger par la presse à sa sortie (pas étonnant), mais les Cure retrouveront les honneurs, le succès et, accessoirement, la raison, en 1992, avec la parution de « Wish ».