L’inénarrable Neal Morse, le prêcheur prog, nous revient ce nouvel album, sobrement intitulé Momentum, et je tiens à prévenir d’entrée les esprits chagrins, dont je fais partie d’ailleurs, il n’y parle pas de Dieu, et c‘est donc plutôt une bonne nouvelle.
Tristement, il semblerait finalement que le fait de s’éloigner de son sujet préféré lui ait fait perdre en inspiration, et c’est donc, à mon humble avis, un album assez moyen que ce Momentum, « rebond » dans la langue de Mark Twain. Moyen, non pas dans le sens de la qualité de production ou d’exécution, on y trouve même un paquet de bonnes idées et de grands moments, mais il y manque un souffle lyrique qui avait marqué fortement Lifeline et Testimony 2. C’est donc une collection de morceaux, très différents les uns des autres, et qui ne s’inscrivent que peu ou pas dans une cohérence globale, ce qui dessert l’ensemble.
Je vais faire ce que je ne fais jamais mais les six morceaux s’y prêtent, et ce manque de cohérence m’y oblige presque : on commence donc par une ouverture énergique et musclée, aux accents légèrement James Bondesques. Momentum, c’est du prog-rock très sympa et enlevé, pas monstrueusement fin et délicat, mais qui fait beaucoup de bien par où il passe. Ensuite on a Thoughts pt. 7, dans la lignée de ce que Neal faisait avec Spock’s Beard : du progcore j’ai envie de dire, expérimental, varié, avec des chœurs, des bruits bizarres, à réserver aux fans du genre.
La plus belle réussite de l’album est la ballade qui s’enchaîne : Smoke & Mirrors. Rien à voir avec Arena, on a là une mélodie belle à pleurer, une finesse dans le jeu du trio et surtout, je me dois de m’arrêter là pour marquer ce morceau d’une pierre blanche, de la trace indélébile de mon mea culpa. Portnoy y est génial : fin, délicat, subtil, sans jamais s’emballer, sans jamais bourriner, voilà enfin qu’il était capable de jouer avec tact et doigté, ce que ses vingt-trois années de carrière nous avaient bien caché. Je ne regrette pas de l’avoir bashé dans le passé parce qu’il le méritait mais je suis bien obligé de reconnaître qu’il avait ça en lui, qu’il pouvait le faire ; le plus incroyable c’est qu’on reconnaît bien son toucher, c’est lui il n’y a aucun doute, mais il joue comme il n’avait jamais joué. C’est un morceau subtil et beau, magnifique de douceur sans tomber dans le miellisme, magistral.
On enchaine avec Weathering Sky, qui est une sorte de Momentum bis, dans l’esprit, le rythme, la structure, du prog carré et énergique, qui ne casse pas grand-chose, mais s’écoute bien, voire vraiment bien, et puis la faiblesse de l’album, un Freak bizarre et pas très bien fichu, qui porte bien son nom.
Et puis pour finir, 34 minutes de World Without End, et c’est là que doucement, je commence à me fâcher. Vous m’avez déjà lu, vous savez ce que j’en pense, et si c’est votre première fois, sachez que je n’en pense rien de bon. Au risque de tomber dans la redite, mais peut-être qu’à force de me répéter je vais finir par me faire entendre, je vais encore en rajouter une couche : dix minutes c’est bien, quinze c’est déjà imposant, vingt ça devient indigeste mais plus de trente minutes de musique ? Mais pourquoi pas soixante ou quatre-vingt ? Et puis, puisqu’un jour il n’y aura plus de CD et on vendra directement des mp3, puis-je rêver d’un morceau de Neal Morse de cent vingt minutes ?? Vous voyez ce que je veux dire ? Quand on fait un morceau de plus de quinze minutes, c’est qu’on a le talent pour le faire, et ce talent-là est rare. Et même en l’ayant, c’est loin d’être un gage de réussite : encore faut-il avoir de bonnes idées, bien les enchaîner, éviter les coups de mou, les faiblesses, les lenteurs, et rendre le tout cohérent et construit. Et même-là encore c’est pas gagné : il faut que tout ce fatras soit écoutable, digeste. C’est le cas de Gates Of Delirium ou Awaken, les meilleurs morceaux de Yes, ou encore le mythique Supper’s Ready de Genesis, le fantastique Echoes de Pink Floyd ou l’incroyable Karn Evil 9 d’Emerson, Lake & Palmer. Les maîtres du genre en quelque sorte, pas des artisans ou des orfèvres, les maîtres, les patrons, les vrais génies de la bande.
C’est donc avec simplicité et franchise que te dis non, Neal, et j’ajoute que ça commence à suffire. Il est temps de laisser tomber cette idée de grandes pièces épiques, ça ne réussit plus à personne. Ou alors, tu fais comme Yes sur Fly From Here, tu découpes en parties, en sections qui sont autant de pistes, et ça devient tout de suite comestible. Même les quinze minutes de Note sur The Void Beardfish sont de trop et brisent l’homogénéité de l’album : sur Momentum, d’homogénéité, il est vrai qu’il n’y en avait pas au départ, et World Without End n’aura pas cassé grand-chose. Pourtant, et que c’est dommage, il y avait de bonnes idées sur cette œuvre gargantuesque, il y en avait des mélodies qui valent le détour, et des ambiances fort sympathiques, noyées sous le déluge des trente-quatre minutes et des trop nombreuses sections qui sentent furieusement le réchauffé.
Plus qu’inégal, Momentum est totalement bancal, mal conçu et mal construit, ce qui n’empêche pas la musique d’être excellente. Du moins, les six plus sept plus quatre et quatre qui font une grosse vingtaine de minutes des quatre premiers morceaux, et les petits moments de bonheur glanés dans WWE, ça fait peu. Trop peu. Il était peut-être temps de faire une pause : un an après un magnifique Testimony 2, six mois après le très bon Flying Colors, on a pu lire ici et là que l’inspiration s’était fait désirer, la garce, c’est sans doute qu’il ne fallait pas la forcer.
Un album de prog correct, sans génie, doté d’une boursouflure regrettable, on sait que Neal Morse peut faire beaucoup mieux. Ce Momentum ne restera guère dans les annales, sauf pour le mirifique Smoke & Mirrors, et la performance éternelle de Mike Portnoy. Et je ne plaisante (presque) pas .