Mouth Sounds
6.8
Mouth Sounds

Album de Neil Cicierega (2014)

Le duo Mouth Sounds et Mouth Silence est un pur produit de son époque ; celui d’un siècle où tout le monde peut avoir accès en quelques clics à la moindre parcelle de savoir et être rapidement baigné dans un flot de connaissances, d’informations, de culture. Comment s’y prendre dès lors pour digérer efficacement ses influences? Comment tirer son épingle du jeu lorsqu’on a potentiellement sur son iPod toute la musique jamais enregistrée? Neil Cicierega nous en propose – peut-être involontairement – une image hautement divertissante et plus profonde et intelligente qu’elle en a l’air.

C’est le genre de projet qui fait sourire, une bizarrerie marginale comme on aime en trouver de temps à autre. Neil Cicierega, qui s’est initialement fait connaître grâce à ses vidéos de spectacles de marionnettes sur le thème de Harry Potter, sort simultanément Mouth Sounds et Mouth Silence, et par la même occasion les meilleurs disques de mashups jamais sortis. Pourquoi s’intéresser à ce qui parait n’être qu’un simple bricolage impersonnel consistant à souder ensemble deux morceaux qui ne sont pas ceux de Cicierega ? Déjà parce que cette image simpliste est fausse, le travail de Cicierega est loin de se résumer à un syncrétisme frénétique. Le projet de Cicierega est celui d’un passionné, parfois hilarant et surtout éminemment créatif, qui permet de s’interroger incidemment (mais avec légèreté) sur l’ère d’Internet.

Clarifions déjà un point délicat ; celui de la considération de tels albums comme une œuvre originale. Certes, le net pullule de vidéos superposant simplement deux morceaux pour obtenir un résultat qui fonctionne mélodiquement et rythmiquement. Mais Mouth Sounds et Mouth Silence sont d’un tout autre acabit. Il ne s’agit plus de réunir pudiquement deux pistes mais de s’approprier chaque ligne mélodique, chaque son, pour se créer un réservoir immense de samples et d’en user comme bon semble à Neil Cicierega. Ce dernier ne se prive pas de modifier très librement les matériaux d’origines pour mieux les plier à ses mashups concepts. A ce titre, en guise d’exemple ; Mouth Sounds gravite autour du groupe de rock pépère Smash Mouth et plus particulièrement de la chanson « All Star » (qui connut son heure de gloire avec la sortie du premier Shrek). Celle-ci se retrouve servie à toutes les sauces, que ce soit en compagnie de « Imagine », « Float On » ou qu’elle se retrouve remixée façon trash à la Nine Inch Nails. On la verra revenir en filigrane sur la plus grande majorité des pistes, sous forme de clin d’œil ou de simple élément de fond auquel on prête à peine attention. De fait, dans le processus de création – voire de composition, n’ayons pas peur des mots – Neil semble réfléchir d’abord à un concept de morceau (les numéros de téléphone, les fans d’animaux anthropomorphes, Pokémon, entre autres) avant de puiser dans sa collection de samples de quoi créer une alchimie venue de nulle part. Tout au long des albums, les quelques mashups « purs » – entendre par là les collages qui fonctionnent tellement bien d’eux-mêmes que les matériaux d’origines n’ont pas eu à subir de modifications majeures – côtoient avec une fluidité remarquable les puzzles sonores foisonnants.

Dans sa façon d’aligner les références à la culture pop, les running-gags (exemple flagrant ; l’utilisation répétée du générique de La fête à la maison), Neil Cicierega fait de ses disques de véritables mèmes sonores, ces célèbres figures virales d’Internet qui se réapproprient des éléments de la culture et les détournent à de nombreuses reprises jusqu’à ce qu’un sens nouveau surgisse pour remplacer l’ancien – allant d’ailleurs jusqu’à rendre hommage à des mèmes existants, tel « Chocolate Rain ». Si bien qu’en somme, Neil donne ici une métaphore inspirée de la façon avec laquelle tout artiste absorbe des parties de la culture dans laquelle il baigne pour tenter de transcender ses influences et proposer une œuvre originale. Seulement, l’illustration qui en est ici faite est très littérale, puisqu’on peut assister directement à l’assimilation des influences, refondues en de nouveaux matériaux.
TWazoo
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le 30 sept. 2014

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T. Wazoo

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