Lugubre beauté
À la fois l’un des films les plus emblématiques de Lynch et l’une des OST les plus significatives de Baladalementi, son alter ego musical, duo inséparable. Et pour cause : aux images torturées,...
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le 4 oct. 2024
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Article original sur LeMagducine
Le cinéma et la musique sont deux arts bien distincts qui, parfois, se marient à la perfection comme si l’un et l’autre devenaient indissociables et provenaient de la même matière. La musique chez David Lynch, par exemple, c’est un peu comme une deuxième raison de vivre, une possibilité pour lui d’évacuer ses tourments par le prisme de la mélodie plutôt que par celle du cadre. Selon lui, « la musique est un bon moyen de conjuguer les idées ».
Le cinéaste américain fait partie, comme Jim Jarmusch, de ces rares personnes que l’on peut qualifier d’artistes, dans sa définition la plus exhaustive du terme: des aficionados, des chercheurs, des créateurs de la culture dans sa généralité. Le documentaire, David Lynch : The Art Life nous montrait que David Lynch n’était pas qu’un simple cinéaste. C’est même le contraire : cet artiste iconoclaste et éclectique, étudiant parfois indigeste et inintéressant, est venu au cinéma par le plus grand des hasards, par sa volonté perpétuelle de nouveauté et d’expérimentation. Du cinéma, de la peinture, de la musique, David Lynch en est un adepte. Lui-même musicien d’une electro assez anxiogène, la musique prend une part non négligeable dans son cinéma, un cinéma de l’étrange, du fantasme et de l’inconscient, celui où la frontière entre le rêve et la réalité se fait sibylline.
Son double maléfique : Angelo Badalamenti
Au travers des images, du montage ou des thématiques, David Lynch aime perdre son spectateur, observe ses réactions et aime lui laisser les clés de sa propre compréhension de l’œuvre : seul le spectateur peut ouvrir la boite bleue. Mais au-delà même de ce sentiment d’aliénation qui nait et s’évapore d’œuvres comme Twin Peaks ou Mulholland Drive pour ne citer qu’elles, la musique devient alors le premier réceptacle de l’émotion, de le sensation incarnée par les personnages ou même par l’environnement jazzy et sulfureux du septième art perpétré par David Lynch. Pour ceux qui connaissent l’œuvre du cinéaste, son double maléfique s’avère l’incroyable compositeur, Angelo Badalamenti. Il est impossible de dissocier les deux, comme si les deux artistes étaient la même et unique personne: ce qui donne vie à un alliage abstrait et parfait entre une musique sombre mais alimentée par des mélodies aussi sirupeuses que glaçantes à l’image du thème principal, étant aussi la musique du générique, de Twin Peaks.
Car même si le cinéaste aime émettre une ambiance rock (Lost Highway) ou blues (Blue Velvet) dans ses films, avec une bande-son allant de Non Inch Nails, David Bowie à Marylin Manson, le réalisateur voit son cadre se mélanger aux mélodies funèbres de son compositeur fétiche qui corrobore avec fascination les traumas des personnages. Le cinéma lynchien est un monde à part entière, un enclos difficile à cerner aux premiers abords, où les parts d’ombre grandissent autant que la fascination créée par ses films. Parlons de Lost Highway, par exemple, de l’histoire de ce trompettiste qui perd peu à peu la raison suite à ses doutes quant à la fidélité de sa femme; une chanson comme «Red bats with teeth » résume avec perfection ce qu’amène Angelo Badalamenti à l’art de David Lynch: un jazz classique et tempétueux mais déréglé par des spasmes assourdissants, dévisageant cette sorte de schizophrénie par les notes.
Il y a chez les deux artistes, cette envie de caractériser le classicisme grâce à des reflets déviants pour voir le trouble qui se cache sous la surface et l’obscurité. L’exemple le plus frappant est l’utilisation de la chanson « Blue Velvet » de Billy Vinton, une pièce quelque peu niaise, qui dans l’œuvre éponyme du cinéaste, en devient un hymne ombrageux à l’ironie presque morbide. C’est ce qu’il y a de plus incroyable chez le cinéaste : cette volonté à s’intéresser à cette Amérique périphérique et pavillonnaire mais dont les secrets sont exécrables; cette manière de faire chanceler nos certitudes, de tordre le coup à l’aspect kitsch de cet environnement puritain et de nous faire toucher du doigt l’aliénation.
Peut-être plus discret que les autres, mais tout aussi magnétique, le travail de Angelo Badalamenti sur Mulholland Drive s’avère sidérant: une plongée dans les eaux troubles des routes sinueuses amenant à Mulholland Drive, endroit secret de tous les fantasmes et mystères. Mystère est le terme qui qualifie la mieux la collaboration entre les deux hommes: d’un point d’accroche somme toute facile à comprendre, ils déconstruisent leur environnement, fissurent le visage d’une Amérique aux anges déchus pour en faire un univers pessimiste aux amours et aux destins brisés: les sirènes de larmes et d’émotion que provoquent les violons de «Diane and Camilla », tiré de Mulholland Drive, en est la preuve inéluctable. La musique de David Lynch et son apport se répercutent avec les éléments techniques de son cinéma, créant de ce fait une osmose rare: il n’y a pas de facilité, ni de grossièreté dans les bandes originales de ses œuvres, pas d’utilisation intempestive du bruitage pour faire du remplissage.
La sonorité de l’altération
La musique, ou ce son si habituel chez David Lynch, un son qui bourdonne, brouille les pistes et qui fait écho au trouble, achève de créer cette étroite frontière entre le malaise, et la peur de l’inconnu face à l’émotion débordante des thématiques rêveuses de son cinéaste, comme le démontre lors de son premier long métrage, Eraserhead, la chanson « In Heaven » qui est un torrent répétitif d’étrangeté. Angelo Badalamenti est une sorte de portraitiste musical: il capte l’errance des personnages, la déformation inhumaine des visages, la beauté moribonde de l’univers lynchien et dresse ses mélodies planantes; auteur qui sans nul doute aura inspiré des musiciens tels que les Boards of Canada et bien d’autres.
David Lynch ne se sert pas de la musique comme d’un simple accessoire, c’est presque l’essence même de sa volonté: rien n’est plus abstrait que les douces notes d’un piano, plus imaginatif ou contemplatif qu’un son de violon. Loin de l’imposante collaboration entre Nolan et Zimmer, ou de cette mièvre et mercantile utilisation de la pop 80’s dans les produits marvelisés d’aujourd’hui, le cinéaste a chez lui un véritable amour pour cet art là, un respect inébranlable quitte à s’en amuser et à en faire une marque de fabrique: presque tous les épisodes de la saison 3 de Twin Peaks se finissaient par un concert avec des groupes Indie/Underground.
Que cela soit le trompettiste de Lost Highway, nos deux amants rockeurs dans Sailor and Lula et son hommage à Elvis, la chanteuse Dorothy Vallens dans Blue Velvet, Betty qui gagne un concours de danse dans Mulholland Drive, le Silencio dans ce même Mulholland Drive, les déhanchées suaves et libérateurs de Laura Palmer dans Twin Peaks, la musique et son impact ont toujours été un moteur dans la genèse même de la création du cinéaste. Pour le cinéaste, oui, mais aussi pour ses protagonistes où la musique devient pour eux une manière de s’échapper, de fuir la peur ou de la découvrir, d’exprimer leurs tentations ou leurs pensées immondes. Quand l’image se délite petit à petit, les sonorités de Angelo Badalamenti ou les tubes rocks choisis par Lynch font office de relai à l’émotion, une retranscription auditive de l’altération des sens qui accapare le cadre. Fuyant à toute berzingue et suivant avec peur les lignes jaunes disparates de Lost Highway, la musique et son pouvoir obsessionnelle chez David Lynch emmènent son cinéma au firmament.
Créée
le 6 mars 2019
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