Oh que je me gausse. Sous prétexte que Miroslav Vitous (basse sur un seul titre), l’un des cocréateurs initiaux du groupe aux côtés de Joe Zawinul et Wayne Shorter est sur le départ, cet album serait considéré comme « un album de transition » ? Ben voyons. En tous cas l’ouverture du disque avec le diabolique et déchaîné (c’est presqu’un rythme de musique électronique ce diable de bestiau !) « Nubian Sundance » et ses bruits de public enregistré comme en live (alors que non, tout était recrée en studio et les bruits du public ont été rajoutés par dessus, c'est trompeur je sais, par contre ça fait son petit effet) sur près de 10 minutes commence comme une belle baffe dans la gueule.
Mine de rien c’est l’époque des chaises volantes dans le groupe entre les musiciens qui arrivent et ceux qui partent à tel point que si l’on devait classifier les différentes périodes, je dirais que nous sommes dans un second cycle après les trois premiers albums où la période avec Vitous laisse donc la place à Alphonso Johnson. Pas un manche non plus Johnson (1), faut dire que le bonhomme à un CV assez chargé et une expérience assez explosive en fin de compte puisque outre sa carrière solo, on le retrouvera aussi bien chez Catalyst que Santana plus tard, Eddie Henderson, Georges Duke, Billy Cobham, Dee Dee Bridgewater, Phil Collins, Wayne Shorter… et donc Weather Report. Excusez du peu.
C’est d’ailleurs au bonhomme que l’on doit les magnifiques lignes de basse d’un groove élégant et sans faille de « Cucumber Slumber », deuxième piste fabuleuse, autre grand titre du disque après le furieux Nubian Sundance, sans oublier le passage vers l’un de ces titres posés et aériens, magiques dont le bulletin météo sait alors toujours nous gratifier magistralement à cette époque, « American Tango ». L’inspiration se révèle constamment sans faille, élevant ce 4e album au même niveau que le magistral troisième, « Sweetnighter ». Et l’on peut penser sans problème y trouver son jumeau quelque part (2). Sur la piste éponyme, les pas de danse s’esquissent avec une touche d’incertitude chère au groupe tandis que « Blackthorn Rose » se révèle d’un romantisme des plus efficaces.
Le plus fascinant en fin de compte avec le recul c’est la volonté de l’album de nous emmener en seconde partie dans quelque chose au delà du groove et du cool, esquissant un virage surprenant vers un aspect presque mystérieux de sa musique, se drapant volontiers dans les brumes et le vent (3) alors que tout avait commencé furieusement sur les chapeaux de roue. Probable que l’enthousiasme ressenti à l’écoute de cet album provient d’une volonté quasi palpable de nous faire ressentir de la texture, de la matière sonore, presque cinématographique par moments et surtout à nouveau, de nous emmener sur les berges du rêve.
Là est la puissance d’imagination du Weather Report de cette glorieuse époque des 70’s.
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(1) Pardon, c’était facile, je le referais plus.
(2) Ce sont d'ailleurs mes deux albums préférés de WR.
(3) Sur « Scarlet woman », Zawinul n’hésite d’ailleurs pas à produire des effets de vent au synthé.